Titre : La Syrie peut-elle être divisée ?

Depuis les années 1920, la Syrie, qui a déjà été morcelée, est de nouveau au cœur des débats les plus passionnés et des projections impossibles à vérifier quant à une éventuelle nouvelle partition. À partir des années 1920, le pays avait été divisé en États de Damas, d’Alep, alaouite, druze et du Grand Liban, avant de se réunifier – à l’exception du Liban – en moins de vingt ans. Certains pourraient trouver surprenant que l’on parle encore de « partition » pour un pays qui s’est déjà reformé par le passé. Cependant, en y regardant de plus près, cette histoire semble moins être celle d’une division que celle d’une impossibilité à être durablement morcelée.
mars 14, 2025
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Depuis les années 1920, la Syrie, qui a déjà été morcelée, est de nouveau au cœur des débats les plus passionnés et des projections impossibles à vérifier quant à une éventuelle nouvelle partition. À partir des années 1920, le pays avait été divisé en États de Damas, d’Alep, alaouite, druze et du Grand Liban, avant de se réunifier – à l’exception du Liban – en moins de vingt ans. Certains pourraient trouver surprenant que l’on parle encore de « partition » pour un pays qui s’est déjà reformé par le passé. Cependant, en y regardant de plus près, cette histoire semble moins être celle d’une division que celle d’une impossibilité à être durablement morcelée.

La division des pays et l’émergence d’un statut final ne sont pas aussi simples que ce que laissent entendre les analyses géopolitiques hâtives ou les théories du complot. Dans l’histoire récente, que ce soit du Yémen à l’Allemagne, du Vietnam à Taïwan, de la Syrie au Soudan, la division, qu’elle soit motivée par des raisons internes ou externes, s’est toujours révélée bien plus difficile qu’il n’y paraît. Parmi les pays divisés au cours du siècle dernier, certains se sont réunifiés, tandis que d’autres n’ont toujours pas achevé leur processus de « réunification ou de division ».

À une époque où les scénarios de division des États-Unis sont librement débattus dans les médias traditionnels et analysés visuellement dans les think tanks, on peut dire que la fragmentation est devenue un sujet banalisé. De plus, alors que l’on discute de la balkanisation de l’économie mondiale, que les cartes des alliances subissent une pression pour être mises à jour et que l’ordre mondial presque centenaire connaît un changement radical, le débat sur la division des États est devenu particulièrement populaire. Pourtant, dans le cas de la Syrie, les scénarios de partition, qui se contentent de répéter des schémas simplistes et irréalistes, sont économiquement, géopolitiquement et sécuritairement peu viables. La division est une dynamique qui, bien que provocante en théorie, expose à une réalité bien plus lourde et complexe lorsqu’elle devient une possibilité concrète.

En effet, la division d’un pays ne se résume pas à une simple modification des cartes géographiques. Elle engendre des coûts colossaux. Même si ces coûts sont temporairement assumés lors du processus de fragmentation, ils exigent ensuite soit un soutien économique et sécuritaire externe durable et structuré, soit des ressources internes capables de supporter cette charge. Lorsque l’on examine l’échelle des régions syriennes concernées par ces discussions sur la partition, la seule comparaison pertinente est celle des Balkans, où la fragmentation a été poussée à l’extrême. Pourtant, la grande majorité de ces « États », qui ont tout fait pour se diviser, souffrent aujourd’hui d’un effondrement démographique, d’une impasse économique et d’une insignifiance géopolitique. Désormais, ils luttent pour « se réunifier » au sein de l’OTAN et/ou de l’Union européenne.

L’Irak qui ne peut ni se diviser ni s’unifier

Bien que cela soit aujourd’hui peu évoqué, en 2006, l’ancien président américain Joe Biden, alors sénateur, était l’un des architectes du projet de division de l’Irak. Il avait même officialisé cette idée dans un article du New York Times. Son projet visait à assurer « l’unité par l’autonomie ». Selon cette vision, l’Irak, que l’on pouvait résumer en trois composantes principales selon Wikipédia – chiites, sunnites et Kurdes – devait être divisé de manière souple : les chiites contrôleraient le sud, les sunnites le centre et les Kurdes le nord.

Cependant, cette vision ignorait plusieurs réalités complexes : les chiites étaient à la fois arabes et turkmènes, les sunnites incluaient des Arabes, des Turkmènes et des Kurdes, et les frontières dessinées sur des bases confessionnelles étaient perturbées par la répartition des ressources énergétiques. De même, les frontières ethniques étaient brouillées par les affiliations religieuses et les infrastructures énergétiques. Enfin, une division purement géographique se heurtait simultanément aux obstacles ethniques, confessionnels et énergétiques. Or, ces complexités n’étaient pas mentionnées sur Wikipédia.

Finalement, ces plans n’ont jamais été mis en œuvre. L’Irak est resté un pays qui ne parvient ni à se diviser ni à s’unifier. Au fil des années, l’idée d’une fragmentation s’est affaiblie, mais celle d’une réunification ne s’est pas renforcée pour autant. Aujourd’hui, un équilibre fragile s’est instauré : pour éviter un nouveau conflit civil, les différentes factions ont appris à coexister en partageant, de manière rudimentaire, les ressources énergétiques et le pouvoir politique. Ce compromis, bien que médiocre, est préféré à un retour aux dictatures sanglantes, aux invasions, aux embargos et aux guerres civiles qui ont marqué l’histoire récente de l’Irak.

Malgré cette réalité, ceux qui méprisaient autrefois la lecture simpliste de Biden sur l’Irak continuent d’aborder la Syrie avec la même légèreté. Depuis le 8 décembre, les partisans de la partition syrienne, qui prônent ce projet depuis des années, ont retrouvé un regain d’enthousiasme, bien qu’ils ne proposent rien de plus qu’une fragmentation irréaliste, incohérente et insoutenable.

Scénarios de partition en Syrie

Depuis les années 1920, la Syrie, qui a déjà été morcelée, est de nouveau au cœur des débats les plus passionnés et des projections impossibles à vérifier quant à une éventuelle nouvelle partition. À partir des années 1920, le pays avait été divisé en États de Damas, d’Alep, alaouite, druze et du Grand Liban, avant de se réunifier – à l’exception du Liban – en moins de vingt ans. Certains pourraient trouver surprenant que l’on parle encore de « partition » pour un pays qui s’est déjà reformé par le passé. Cependant, en y regardant de plus près, cette histoire semble moins être celle d’une division que celle d’une impossibilité à être durablement morcelée. D’ailleurs, si l’on prend en compte dans quelle mesure le Liban a réellement été séparé ou indépendant de la Syrie sous le régime Baas, il convient de reconsidérer encore une fois la question de la division et de l’unité en Syrie.

Après le 8 décembre, ceux qui affirmaient avec insistance que la Syrie était « au bord de la partition à cause des massacres » et qui y voyaient une confirmation de leurs analyses ont connu une nouvelle désillusion lorsqu’ils ont appris la décision des FDS (Forces Démocratiques Syriennes) de se rapprocher du régime. Alors qu’ils pensaient avoir déjà morcelé la Syrie en au moins trois entités, cette annonce d’unité les a une fois de plus confrontés à la réalité syrienne.

La Syrie peut-elle être divisée ?

Bien sûr, la Syrie pourrait être divisée. Un pays peut se fragmenter lorsque le coût du maintien de son unité dépasse largement celui de la partition et que des ressources militaires et économiques durables sont disponibles pour soutenir cette séparation. Ce principe ne s’applique pas seulement à la Syrie, mais à tous les pays potentiellement confrontés à un scénario de division. Or, aujourd’hui, il est clair que la Syrie ne subit pas un coût économique ou sécuritaire insoutenable pour son maintien en tant qu’État unifié. Après des décennies de souffrance sous la répression du Baas, une société profondément fracturée cherche bien plus à se reconstruire et à retrouver la paix qu’à se diviser davantage. Ceux qui refusent de voir cela semblent animés par une obsession de la partition encore plus aveugle et destructrice que le plan mal avisé de Biden visant à diviser l’Irak.

Par ailleurs, un morcellement durable nécessite généralement le soutien prolongé d’une puissance extérieure prête à garantir la sécurité et le financement de ces nouvelles entités. De plus, les groupes séparatistes doivent eux-mêmes être en mesure d’absorber cette aide en fonction de leur position géographique, de leur densité démographique et de leur capital social et politique. Pourtant, ceux qui pensent que certains groupes syriens obtiendraient facilement ce soutien de l’extérieur – en particulier deux factions via Israël et une autre via l’Iran – refusent de croire en la possibilité d’une Syrie unifiée.

Aujourd’hui, aucun des groupes sur lesquels reposent les scénarios de partition ne possède la force militaire, économique ou idéologique nécessaire pour imposer une telle séparation de manière autonome. En d’autres termes, ces acteurs n’ont ni la puissance requise pour réussir une sécession ni la capacité de la défendre sur le long terme.

Par exemple, le PKK ne dispose ni de la force militaire suffisante, ni d’une concentration démographique kurde homogène, ni d’un socle idéologique fédérateur. Quant aux Druzes, qui avaient mené en 1925 l’une des résistances les plus féroces contre l’occupation française, y compris face à l’usage d’armes chimiques, leur faible population actuelle et l’absence d’un projet politique commun empêchent d’imaginer qu’ils puissent faire de la séparation une priorité, encore moins sous une hypothétique tutelle israélienne.

De même, les Alaouites semblent aujourd’hui enfermés dans un dilemme : soit tenter de réintégrer la nouvelle Syrie en adoptant une posture plus rationnelle, soit continuer à jouer le rôle de force supplétive pour l’Iran en assumant les crimes du régime Assad. Dans le second cas, il n’existe ni justification géopolitique, ni viabilité sécuritaire ou économique qui permettrait d’en faire une base pour une véritable indépendance.

Au final, tous les scénarios de partition tournent autour d’un point central : la rupture avec Damas et le cœur historique de la Syrie.

Le Problème Américain et la Géopolitique en Mutation

Malgré toutes ces considérations, l’hypothèse d’une période chaotique en Syrie après la révolution n’a pas disparu de l’agenda. Le pays demeure sous de lourdes sanctions, en particulier sous l’embargo américain, dont l’impact dépasse la simple pression exercée par Washington sur Damas : il paralyse également les acteurs prêts à venir en aide à la Syrie. Cette situation représente aujourd’hui l’un des principaux défis à surmonter. Cependant, à une époque où la divergence entre les États-Unis et l’Europe est désormais manifeste, il existe aussi une possibilité de contournement de ce problème. Ces derniers jours, l’attitude désinvolte de Washington s’est encore illustrée dans la gestion de la crise syrienne. Alors que le CENTCOM préparait les FDS (Forces Démocratiques Syriennes) au dialogue avec Damas, le secrétaire d’État américain adoptait une lecture de la situation en Syrie à la fois populiste et militante, révélant ainsi toute l’incohérence de la politique américaine. Il suffit de comparer la position du chef de la diplomatie américaine, qui a pratiquement repris mot pour mot les discours d’un membre fanatique du cabinet israélien, avec la déclaration bien plus positive et responsable de l’Union européenne, pour percevoir clairement la nouvelle ligne de fracture.

Dans ce contexte, il sera difficile de maintenir les sanctions contre la Syrie sous leur forme actuelle sur une longue période. Soit Washington transformera ce dossier en un nouveau point de tension avec l’Europe, soit l’UE, confrontée à une crise d’alliance avec les États-Unis, saisira l’opportunité d’ouvrir un modeste mais significatif espace d’initiative en Syrie. Le fait que l’Europe ait commencé à inviter régulièrement la direction syrienne à ses réunions diplomatiques constitue déjà un premier signe de ce changement de politique, qui semble destiné à se poursuivre. Si l’embargo américain venait à être levé ou contourné, il serait alors possible d’envisager des scénarios bien plus positifs pour l’avenir proche de la Syrie. Toutefois, dans le cas où la catastrophe économique actuelle se prolongerait, il ne serait pas erroné d’anticiper que divers scénarios resteront encore sur la table.

L’une des principales inconnues à ce stade concerne l’avenir de la présence militaire américaine en Syrie après l’accord entre les FDS et Damas. Le transfert des ressources énergétiques sous l’autorité de l’État syrien aura des répercussions concrètes à Washington. En effet, plusieurs figures influentes du Congrès qui militent avec un activisme excessif en faveur des FDS entretiennent en réalité des liens économiques avec les entreprises exploitant ces ressources énergétiques. En d’autres termes, l’approche militaire pragmatique qui a conduit à l’accord avec les FDS pourrait entrer en conflit avec le sionisme militant de l’administration américaine et les intérêts économiques personnels de certains décideurs.

L’aspect le plus risqué de la politique américaine en Syrie aujourd’hui est l’ampleur du contrôle exercé par Israël sur cette politique. Il ne faut pas oublier que la crise actuelle trouve en partie son origine dans le chèque en blanc illimité que Biden a accordé à Israël, sans aucune condition ni restriction. Il était difficile d’imaginer que l’approche régionale de Trump, largement soumise au sionisme américain – une posture souvent encore plus irresponsable que celle des sionistes fanatiques en Israël – ne finirait pas par engendrer de graves problèmes. À moins qu’une initiative régionale ne parvienne à imposer une focalisation sur la question de Gaza, et plus largement sur le dossier palestinien, il est probable que la Syrie continue de subir les conséquences de cette irresponsabilité.

il n’existe aucune réponse réaliste à la question de savoir comment ces entités pourraient survivre indépendamment après s’être détachées de Damas et des autres centres vitaux du pays.

D’ailleurs, la récente annonce de l’accord entre les FDS et le régime a suscité des manifestations de joie spontanées dans plusieurs villes syriennes. Ces scènes témoignent, pour ceux qui veulent bien le voir, de l’énergie toujours présente en faveur de l’unité et du rejet de la fragmentation.

Quelle Direction pour le PKK Après le Nouvel Accord ?

Indépendamment de ce qui se passe à Washington, la scène qui s’est déroulée hier, et surtout le message envoyé par les larges masses, constitue une leçon pour le PKK. Deux dynamiques sont en jeu dans l’application pratique de l’accord : Damas accueillera les FDS et leur permettra de contribuer à la nouvelle période, tandis que les FDS se dissoudront de facto. Après avoir vécu pendant des années au cœur de la Mésopotamie tout en étant enfermée dans un monde coupé de l’histoire de la région, l’imaginaire social kurde est aujourd’hui confronté à une nouvelle réalité avec l’accord conclu à Damas. Il est inacceptable que les Kurdes, l’un des peuples les plus anciens de cette région, ne puissent exister que dans la mesure où un équilibre géopolitique le permet. En Irak, et dans une moindre mesure en Syrie, la place attribuée aux Kurdes selon les souhaits du PKK ne repose pas sur leur statut de peuple autochtone millénaire, mais sur l’exploitation opportuniste des conjonctures géopolitiques par une famille ou une organisation prétendant les représenter.

Dans cette aliénation, le manque de gouvernance démocratique des États de la région, le nationalisme fanatique et l’arrogance historique ont joué un rôle. En intégrant cette aliénation, les Kurdes se sont détachés du cours de l’histoire régionale. Dans le cas syrien, l’accord de Damas offre au PKK une opportunité de se débarrasser de son aliénation kémaliste et de s’intégrer à l’administration syrienne, en partageant les préoccupations de tous les Syriens sur la base de la démocratie et de la citoyenneté constitutionnelle. Ainsi, la dissolution du PKK en Syrie ouvre aux Kurdes une possibilité, bien tardive, de se reconnecter avec la grande Syrie.

Toute résistance du PKK à cette dissolution le confrontera au message qui s’est manifesté hier soir dans les rues. Une telle confrontation pourrait entraîner une dissolution encore plus coûteuse du PKK, imposée cette fois par le retrait des forces arabes. Dans le même temps, l’organisation pourrait se retrouver piégée entre l’accord d’İmralı et celui de Damas.

À ce stade, la meilleure option est d’accélérer le processus de normalisation avec une approche réaliste, sans faire vivre inutilement à la Syrie son propre « moment Biden ». Il est difficile de prédire dans quelle mesure le monde du PKK pourra rationaliser sa position. À Damas, choisira-t-il de contribuer à l’avenir de la Syrie, ou bien préfèrera-t-il un activisme adolescent qui transforme une simple négociation carcérale en un enjeu géopolitique mondial ? Nous verrons… De même, réalisera-t-il l’absurdité de s’opposer à Ankara et Damas au point de formuler ouvertement un désir de protectorat israélien, ou bien persistera-t-il dans cette logique, ignorant le désastre qu’elle engendre ?

En fin de compte, il est à espérer qu’une conscience capable de comprendre à la fois l’appel d’İmralı, la réalité syrienne et la position de la Turquie émergera. Et plus encore, qu’elle viendra de ceux qui, hier soir, ont rempli les rues de manifestations de joie.

 

Source : https://www.perspektif.online/suriye-bolunebilir-mi/

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