Prof. Dr. İbrahim Kalın
12 décembre 2015-dailysabah.com
« Toutes les cultures ne sont pas égales. » La dernière fois que nous avons entendu de telles déclarations, les colonisateurs occidentaux dévastaient le monde, du Moyen-Orient à l’Afrique et à l’Australie, au nom de la civilisation. Aujourd’hui, ce discours ressurgit, dans la hâte de créer de nouvelles identités opposées en attaquant l’Islam et en diabolisant les musulmans.
Depuis que le candidat républicain Donald Trump a appelé à « interdire complètement et temporairement l’entrée des musulmans aux États-Unis », l’hystérie anti-islamique a atteint de nouveaux sommets. Les discours discriminatoires et racistes sont devenus monnaie courante. Les agressions verbales et physiques, notamment contre les femmes musulmanes, ont considérablement augmenté quelques jours seulement après l’attentat terroriste de San Bernardino, en Californie. L’industrie de l’islamophobie s’est remise en marche. L’hystérie est devenue si répandue que, quelques minutes après l’attaque de San Bernardino, certains journalistes américains ont relayé une intox affirmant que le suspect se nommait « Tayyeep bin Ardogan ». Ce nom inventé a été diffusé par les médias grand public sans même vérifier s’il existait une telle expression en arabe ou dans d’autres langues musulmanes. Quand il s’agit de l’Islam, même les standards journalistiques les plus élémentaires sont mis de côté.
Les petits Trump du monde entier ont rejoint cette folie avec leurs propres versions de racisme religieux et culturel. Tony Abbott, ancien Premier ministre d’Australie et catholique fervent, a affirmé dans une tribune publiée dans le Australian Telegraph que l’Occident devait « affirmer sa supériorité sur l’Islam », car selon lui, « toutes les cultures ne se valent pas ». Abbott soutient également que le choc des civilisations est inévitable tant que l’Islam ne change pas.
Il est réellement choquant qu’un tel discours ouvertement raciste et suprémaciste émane d’un pays comme l’Australie, qui se vante de son multiculturalisme. Mais derrière cette déclaration absurde de M. Abbott se cache une histoire douloureuse de colonisation et d’esclavage. Au lieu de s’enorgueillir, M. Abbott et ses semblables devraient d’abord expliquer les décennies de colonisation et d’exploitation infligées aux Aborigènes d’Australie avant de faire la leçon au monde sur la culture, l’éthique et la civilisation.
Les Trump et Abbott tentent de créer un scénario apocalyptique entre un bien absolu et un mal absolu, en attisant les peurs les plus profondes des citoyens ordinaires des sociétés occidentales. Ce qui est ironique, c’est qu’ils jouent la carte du racisme dans un pays comme les États-Unis, fondé sur l’immigration. En stigmatisant un groupe spécifique comme les musulmans, ils disent à leurs partisans de se détourner du multiculturalisme. Et pourtant, Trump prétend faire tout cela pour « rendre l’Amérique de nouveau grande ». Soit le mot « grande » a perdu son sens, soit Trump a totalement perdu la tête.
Il ne s’agit pas ici de retrouver une identité ou de sécuriser le pays. Il s’agit d’accumuler du pouvoir. La « mission civilisatrice » invoquée autrefois par les colonisateurs occidentaux pour justifier le « fardeau de l’homme blanc » au XIXe siècle n’a jamais été uniquement une question d’identité ou de sécurité. Cette mission visait à rendre l’impérialisme attrayant et légitime. De l’Afrique à l’Inde, le racisme religieux et culturel allait de pair avec l’exploitation économique. L’asservissement et l’exploitation de millions d’Africains, d’Indiens d’Amérique et d’Aborigènes australiens visaient autant à exploiter les ressources des peuples colonisés qu’à asseoir la suprématie de l’Occident comme nouveau maître du monde.
Aujourd’hui, les extrémistes de droite préfèrent utiliser le terrorisme pour élargir leur base électorale plutôt que de véritablement le combattre. Selon une récente étude, les suprémacistes blancs ont tué bien plus de personnes aux États-Unis que les prétendus djihadistes. La violence domestique, les meurtres et la violence des gangs font beaucoup plus de victimes que les attentats terroristes. La majorité de ces crimes sont commis par des chrétiens blancs. Pourtant, ce sont les musulmans qui sont systématiquement plus stigmatisés que tous les autres groupes. À bien des égards, les musulmans sont devenus les nouveaux juifs de l’Occident.
Le véritable problème est que diaboliser l’Islam et les musulmans au nom de la lutte contre le terrorisme renforce les extrémistes violents et aliène les musulmans opposés à la violence. En laissant les discours racistes et discriminatoires devenir dominants, nous aidons en réalité les extrémistes que nous prétendons rejeter.
Nous devons rejeter toute forme d’extrémisme violent et de terrorisme, et ne pas laisser les arguments culturalistes approfondir encore davantage la haine et l’hostilité. Au lieu de cela, nous devons nous attaquer aux causes profondes du terrorisme. Comme je l’ai dit précédemment, une approche à double niveau est nécessaire. Premièrement, nous devons traiter les réalités du terrain, notamment mettre fin à la guerre en Syrie, stopper l’aliénation en Europe et la radicalisation en ligne. Deuxièmement, nous devons gagner les cœurs et les esprits, surtout des jeunes, qui ont besoin non pas de guerres inutiles, d’insultes racistes ou de stéréotypes islamophobes, mais d’une éducation appropriée, de respect et d’estime de soi.
Une bonne façon de commencer ce combat est de ne pas permettre aux opportunistes politiques, de droite comme de gauche, de manipuler les réalités du terrain. Le fardeau de l’homme blanc d’aujourd’hui consiste à prouver que des personnages comme Trump, Abbott et leurs semblables n’ont pas leur place dans un monde rationnel et civilisé.
Source: https://www.dailysabah.com/columns/ibrahim-kalin/2015/12/12/white-mans-burden