La guerre à Gaza n’a pas seulement détruit la vie de millions de Palestiniens, elle a également blessé la conscience du monde entier. Pendant des mois, les images se sont succédé sans discontinuer. Les ruines de la ville de Gaza, les familles déplacées, les hôpitaux, les écoles et les lieux de culte bombardés… Alors que la destruction physique se poursuivait, une fracture plus profonde est apparue : deux crises étroitement liées qui définissent la politique mondiale.
La première est le problème israélien : des décennies d’occupation, de massacres, d’usage excessif de la force militaire, sans aucune sanction. Israël est devenu la principale menace pour la sécurité et la paix mondiales. La seconde est le soutien automatique et inconditionnel apporté à Israël par diverses institutions américaines telles que le Sénat, le Congrès, la politique étrangère, la défense et les services de renseignement. Sous l’influence d’une élite politique et bureaucratique, ce soutien constitue un problème important pour le pays, tant sur le plan moral que stratégique. Ces deux problèmes mettent en évidence l’effondrement d’un ordre mondial qui prétendait autrefois défendre la justice, le droit et la dignité humaine.
Le problème israélien : impunité, occupation et massacres
Depuis plus d’un demi-siècle, Israël occupe les territoires palestiniens en violation du droit international. Les résolutions des Nations unies ont appelé à une solution politique prévoyant le retrait d’Israël, la reconnaissance des droits des Palestiniens et la garantie de leur souveraineté. Malgré ces décisions, l’occupation s’est intensifiée et la violence a atteint un niveau génocidaire. Les juristes, les organisations de défense des droits humains et même certains Israéliens qualifient le régime actuel d’apartheid. La dernière occupation de Gaza n’est pas un événement isolé, mais s’inscrit dans le cadre d’un problème structurel qui se poursuit dans un état de siège permanent.
Le gouvernement israélien justifie chaque massacre par le « droit à la défense ». Cependant, les massacres collectifs, la destruction des infrastructures civiles, l’empêchement de satisfaire les besoins fondamentaux et le fait que même les hôpitaux soient pris pour cible invalident cette justification. Chaque cycle de violence creuse davantage le fossé moral entre le discours sécuritaire d’Israël et la catastrophe humanitaire. Les mesures présentées autrefois comme des mesures de contrôle temporaires se transforment en réalité en une politique de domination illimitée.
L’installation d’Israéliens sur les terres palestiniennes, l’annexion de territoires et les restrictions quotidiennes à la liberté de mouvement ne sont pas des sous-produits du conflit, mais les fondements d’un régime d’asymétrie. En d’autres termes, il s’agit du système qui perpétue le déséquilibre des pouvoirs entre les parties, ainsi que des structures et des pratiques qui permettent à ce système de fonctionner. Au fond, le problème israélien est lié à l’attitude des États-Unis, qui, grâce à leur droit de veto et à leur abstention à l’ONU, ont permis l’occupation des territoires palestiniens, la confiscation de leurs biens et la normalisation des pertes civiles.
Le problème américain : soutien inconditionnel et soumission
Le rôle des États-Unis dans cette équation va au-delà de celui d’un simple allié. Les États-Unis sont un patron, un protecteur, un bailleur de fonds et un facilitateur politique. Depuis des décennies, Washington finance la puissance militaire d’Israël, constitue le principal obstacle à la responsabilité internationale et répète le discours d’Israël au détriment de sa propre réputation. Les contribuables américains fournissent chaque année à Israël des milliards de dollars d’aide militaire. Les diplomates américains vetoent systématiquement, dans les forums internationaux, les décisions visant à instaurer un cessez-le-feu ou à enquêter sur les violations des droits humains. Critiquer Israël est tabou dans la classe politique américaine, et remettre en question cette relation revient à être accusé de trahison ou d’antisémitisme.
La situation dont nous parlons crée une paralysie politique qui empêche les États-Unis d’agir conformément aux principes qu’ils ont énoncés. Ils « défendent » les droits de l’homme en Ukraine, mais empêchent les enquêtes à Gaza. Ils ne cessent de parler de démocratie, mais financent l’occupation. Ils condamnent les crimes de guerre dans certaines régions, mais ferment les yeux sur ceux commis à Gaza. Le coût de cette situation ne se limite pas aux vies humaines, mais aussi à la dégradation du pouvoir. La soumission de l’élite américaine aux priorités politiques d’Israël a particulièrement érodé la crédibilité diplomatique de Washington à l’échelle mondiale. De nombreux pays, de l’Afrique à l’Amérique latine en passant par l’Asie, considèrent le discours des États-Unis sur les droits de l’homme comme sélectif, opportuniste et axé sur les intérêts.
Les relations entre les États-Unis et Israël étaient autrefois justifiées par une alliance stratégique dans une région instable. Aujourd’hui, ces relations ont évolué vers une structure complexe, façonnée par des allégeances idéologiques et religieuses et des équilibres d’intérêts, plutôt que par une alliance stratégique. Les élites politiques américaines soutiennent inconditionnellement Israël, convaincues de sa puissance et de sa supériorité religieuse. C’est pourquoi la question israélienne qui se pose aux États-Unis n’est plus seulement une question politique, mais aussi une question d’identité.
La géographie morale changeante du monde
Les événements de Gaza ont également redessiné la géographie morale de la politique mondiale. Pendant des décennies, les États occidentaux, sous la houlette des États-Unis, ont prétendu définir les normes morales du système international. Ils ont rédigé des conventions sur les droits de l’homme, financé des institutions humanitaires et se sont positionnés comme les gardiens de la loi et de la liberté. Mais Gaza a mis en évidence un double standard fondamental. Lorsque le droit international s’applique à la Russie, l’Occident exige des comptes. Mais lorsque ce même droit s’applique à Israël, il devient « politisé ». Cette incohérence est très clairement perçue par le reste du monde. L’agitation dont font preuve certains dirigeants occidentaux pour dissimuler les massacres commis par Israël est une illustration concrète du niveau atteint par la décadence morale et le vide des valeurs.
Partout dans le monde, la crise a accéléré un changement qui s’annonçait depuis longtemps. Le monopole de la « légitimité morale » de l’Occident n’est plus accepté. Les pays qui restaient autrefois silencieux s’expriment désormais dans le langage de la décolonisation, de la solidarité et de la justice. Les mouvements en Asie, en Afrique et en Amérique latine considèrent la Palestine non pas comme une question régionale, mais comme le symbole d’une lutte plus large contre l’arrogance des anciens et nouveaux empires. Dans les sociétés occidentales également, la population et l’opinion publique ont changé. Les gens remettent en question les fondements moraux du soutien inconditionnel à Israël. Car ils considèrent la recherche de justice pour les Palestiniens comme une obligation morale compatible avec les valeurs universelles.
Le prix de l’aveuglement moral
La tragédie est que tant Israël que les États-Unis ont perdu le capital moral qui soutenait autrefois leur légitimité. Les politiques d’occupation et de confiscation des biens palestiniens menées de manière systématique par Israël renforcent son isolement international. Quant aux États-Unis, leur défense aveugle des actions d’Israël et leur utilisation des principes des droits de l’homme et de la primauté du droit à des fins stratégiques ont démontré que cette affirmation n’était pas sincère. Cette cécité morale est le résultat d’un choix politique conscient. En d’autres termes, plutôt que de faire ce qui est juste, les dirigeants modifient leurs choix par crainte des réactions que pourraient susciter les relations douteuses dans lesquelles ils sont impliqués. À Washington, l’allégeance bipartisane à Israël est devenue une question théologique. À Tel-Aviv, la supériorité militaire a remplacé l’imagination politique. Il en résulte un partenariat fondé sur l’idéologie, la religion et l’inertie, plutôt que sur les valeurs de justice et de paix.
Un nouvel ordre moral
La guerre de Gaza a révélé l’effondrement de l’ancien ordre. Le monde ne peut accepter une hiérarchie en matière de protection de l’humanité. La vie d’un enfant palestinien ne peut avoir moins de valeur que celle d’un enfant israélien. Les principes du droit international ne peuvent être subordonnés à des alliances ou à des coopérations. Pour résoudre le « problème israélien », le monde doit exiger une véritable responsabilité. Cela nécessite des enquêtes indépendantes, la fin de l’impunité et l’application des décisions internationales. Les États ne peuvent pas, d’un côté, défendre les droits de l’homme et, de l’autre, financer des violations de ces mêmes droits.
Pour que les États-Unis puissent résoudre ce problème, leurs citoyens doivent prendre conscience que les institutions clés de l’État (le Sénat, le Congrès, les institutions chargées de la politique étrangère, de la sécurité intérieure, de la défense et du renseignement) sont dirigées par des personnes qui soutiennent sans réserve les politiques menées à l’égard d’Israël. Il est néanmoins important d’approfondir et de poursuivre les débats qui ont commencé avec l’occupation de Gaza. N’oublions pas qu’une démocratie qui ne peut être remise en question ne peut se renouveler. Cette crise montre que le problème auquel la communauté internationale est confrontée n’est pas seulement politique, mais aussi moral. C’est pourquoi il est nécessaire de construire une nouvelle éthique internationale fondée sur l’égalité, le droit et l’humanité, qui ne se soumette pas au pouvoir.
Retrouver sa conscience
La guerre de Gaza a clairement montré que la crise ne se limite plus au Moyen-Orient. Les événements actuels sont un test pour l’intégrité morale du monde. Il est hypocrite de parler de paix tout en tolérant une occupation permanente. Il est illusoire de prétendre exercer un leadership tout en ignorant le droit. Le « problème israélien » et le « problème américain » sont en réalité un seul et même problème. Il s’agit d’un problème de pouvoir déconnecté de la conscience, de la morale et des valeurs humaines. L’histoire montre que les empires s’effondrent non seulement à cause d’une expansion excessive, mais aussi à cause d’un épuisement moral. Tant que ces deux pays et ceux qui les soutiennent ne combleront pas le fossé entre leurs idéaux et leurs actions, cet épuisement ne fera que s’aggraver.
Le temps est venu non seulement d’un réalignement politique, mais aussi d’un réveil moral. Le monde n’a plus besoin de « protecteurs » ou de « garants ». Ce qu’il faut, c’est la vérité, la justice et le courage. Aucune nation n’est au-dessus de la loi, aucun peuple n’est en dessous. N’oublions pas que si notre conscience se tait, le pouvoir impose ses propres règles. Après tous ces massacres, le monde ne peut plus rester spectateur. Chacun d’entre nous doit prendre ses responsabilités au nom de l’humanité. Le droit à la vie d’un enfant palestinien est égal au droit à la vie de tout enfant. Par conséquent, le droit ne peut être soumis à des alliances ou à des équilibres d’intérêts. L’histoire a montré que les sociétés et les dirigeants qui ne font pas preuve d’un éveil moral finissent par s’effondrer.
Il est temps d’agir pour la justice, l’égalité et l’humanité.
