Le Sommet Asie centrale–UE et le Message adressé à la Turquie à travers Chypre

La reconnaissance de la République chypriote grecque par trois républiques turques est une situation absolument inacceptable pour la Turquie. Malgré cela, la Turquie, comme elle l’a toujours fait jusqu’à présent, s’est abstenue de faire une déclaration officielle sur ce sujet pourtant crucial pour elle, en tenant compte de la sensibilité des autres républiques turques. Si, dans le cadre d’une politique d’équilibre, les républiques turques ont décidé de renforcer leurs relations bilatérales avec l’Union européenne afin de contrer l’influence de la Chine et de la Russie dans la région, et se sont ainsi senties contraintes de reconnaître la République chypriote grecque, alors la prochaine étape devrait être, en guise d’excuse à la Turquie, l’intégration pleine et entière de la RTCN en tant que membre à part entière de l’Organisation des États turciques.
avril 14, 2025
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La reconnaissance de la République chypriote grecque par trois républiques turques est une situation absolument inacceptable pour la Turquie. Malgré cela, la Turquie, comme elle l’a toujours fait jusqu’à présent, s’est abstenue de faire une déclaration officielle sur ce sujet pourtant crucial pour elle, en tenant compte de la sensibilité des autres républiques turques. Si, dans le cadre d’une politique d’équilibre, les républiques turques ont décidé de renforcer leurs relations bilatérales avec l’Union européenne afin de contrer l’influence de la Chine et de la Russie dans la région, et se sont ainsi senties contraintes de reconnaître la République chypriote grecque, alors la prochaine étape devrait être, en guise d’excuse à la Turquie, l’intégration pleine et entière de la RTCN en tant que membre à part entière de l’Organisation des États turciques.

 

Après l’effondrement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), les Républiques turques d’Asie centrale, devenues des États indépendants sur la scène politique internationale, n’ont pas pu échapper pendant longtemps à l’image de “l’arrière-cour” de la Russie. La Communauté des États indépendants (CEI), créée par la Russie dans le but de préserver l’héritage soviétique, a également continué à exister comme un acteur puissant dans la région.

En plus de la Russie, les Républiques turques ont établi des relations avec leurs voisins frontaliers comme la Chine, ainsi qu’avec une puissance mondiale comme les États-Unis, et ont commencé aujourd’hui à mener une politique étrangère plus indépendante et multivectorielle. En ce sens, dès le début des attaques lancées par la Russie contre l’Ukraine, elles ont adopté une politique extérieure équilibrée, évitant de prendre une position de soutien inconditionnel à la Russie.

Par la suite, elles ont renforcé leur dialogue avec la Chine et les États-Unis, parvenant à établir un équilibre politique face à la Russie. À tel point qu’en 2023, pour la première fois, le président des États-Unis a personnellement présidé le sommet C5+1 dirigé par les États-Unis, soulignant clairement l’importance accordée aux relations entre l’Asie centrale et les États-Unis.

Dans un contexte où les relations entre les États-Unis et l’Union européenne se sont considérablement détériorées, nous avons également été témoins d’un tournant dans les relations entre l’UE et les Républiques d’Asie centrale, atteignant un niveau de partenariat stratégique. Cette initiative de Partenariat stratégique a été lancée pour la première fois lors du Sommet UE-Asie centrale, organisé les 3 et 4 avril 2025 en Ouzbékistan, et qui est appelé à se répéter dans les années à venir.

Lors du sommet, l’UE a annoncé un paquet d’investissements de 12 milliards d’euros destiné aux cinq pays d’Asie centrale, y compris le Tadjikistan, tout en soulignant que le niveau visé dans les relations bilatérales allait bien au-delà de cette somme. Plus de la moitié de ce paquet de 12 milliards d’euros sera consacrée à des projets dans les domaines de l’eau, du changement climatique et de l’énergie. Le reste sera affecté au développement de corridors de transport visant à acheminer plus rapidement et en toute sécurité les ressources naturelles et matières premières précieuses de l’Asie centrale vers l’Europe.

Bien que de nombreux sujets abordés lors de ce premier Sommet UE-Asie centrale méritent d’être analysés et discutés séparément du point de vue de la Turquie et des Républiques turques, l’attention s’est entièrement concentrée sur la question chypriote, en raison des décisions prises par trois Républiques turques au cours de cette même période.

Pilier de l’Intégration du Monde Turc : « L’Organisation des États Turciques »

Dans un monde politique en constante évolution et transformation, la Turquie, désireuse d’agir en tant qu’acteur régional et mondial, a entrepris de nombreuses initiatives en s’impliquant, en tant que membre fondateur ou adhérent, dans diverses structures collectives. Parmi celles-ci, l’Organisation des États turciques (OET), dont la Turquie est l’un des fondateurs, s’impose comme une entité de plus en plus influente, suivie de près par le monde entier tant pour son étendue géographique que pour sa portée politique.

Parmi les républiques turques d’Asie centrale, trois (le Kazakhstan, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan) sont membres à part entière de l’OET, tandis que le Turkménistan y participe en tant qu’observateur. L’un des objectifs fondamentaux mentionnés à la fois dans le Sommet annuel des dirigeants de l’OET et dans son Document de Vision 2040 est la détermination des pays membres à agir ensemble. Cependant, cette volonté commune subit parfois des revers, provoquant certaines turbulences dans l’opinion publique des États membres de l’OET.

Dernièrement, la nomination d’ambassadeurs par l’Ouzbékistan, le Kazakhstan (tous deux membres à part entière) et le Turkménistan (membre observateur) auprès de l’Administration chypriote grecque (ACG) a constitué une véritable déception pour la Turquie. Il est certain que ces trois républiques turques disposent de leurs propres politiques étrangères et que chaque État membre de l’OET est libre de définir et de conduire ses relations extérieures de manière indépendante.

Néanmoins, la reconnaissance de l’ACG en tant qu’État indépendant par les Républiques turques équivaut à admettre que l’administration grecque représente l’ensemble de l’île. Or, bien que cela ne reflète pas la réalité, presque l’ensemble de la communauté internationale reconnaît l’ACG comme la « République de Chypre ».

De surcroît, par ce geste, les Républiques turques ont, en quelque sorte, alimenté la rhétorique de l’Occident qui considère la Turquie comme une « puissance occupante » à Chypre. Bien que la démarche la plus raisonnable serait que ces trois pays rappellent immédiatement leurs ambassadeurs, il semble peu probable qu’une telle décision soit prise.

Dans ce cas, ils doivent au moins déclarer explicitement qu’il existe deux communautés égales sur l’île de Chypre et que l’ACG ne représente pas l’ensemble de l’île. À défaut, ces trois Républiques turques — et peut-être bientôt le Kirghizistan — auront, de fait, ignoré l’existence de la République turque de Chypre du Nord (RTCN), avec laquelle elles agissent pourtant collectivement au sein de l’OET.

Alors que la Turquie agit avec la plus grande prudence dans les conflits régionaux, notamment en ce qui concerne les affrontements à la frontière kirghize-tadjike ou les différends frontaliers passés entre l’Ouzbékistan et le Kirghizistan, l’attitude précipitée des Républiques turques sur la question chypriote n’a fait que nuire à l’esprit de coopération et de fraternité.

Le Sommet UE-Asie Centrale et la Reconnaissance de l’Administration Chypriote Grecque (ACG)

La reconnaissance de l’ACG en tant qu’État indépendant par le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan, accompagnée de la nomination d’ambassadeurs dans cette entité, s’est produite simultanément à un événement international de deux jours baptisé Sommet UE-Asie centrale, durant lequel l’Union européenne (UE) a manifestement marqué une présence stratégique en Asie centrale. Ce timing suggère que l’UE aurait exigé une telle démarche de la part des républiques turques et les aurait confrontées à la menace de ne pas progresser dans leurs relations bilatérales en cas de refus de reconnaître l’ACG.

Parmi les sujets évoqués figure également le fait que la Grèce, protectrice des Chypriotes grecs, et l’ACG, qui fut intégrée à l’UE malgré son rejet du Plan Annan — dont l’acceptation aurait signifié l’effondrement de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) — n’auraient approuvé le transfert du fonds d’investissement européen vers l’Asie centrale qu’à cette condition.

Lors du Sommet UE-Asie centrale, l’Union européenne a annoncé un soutien financier de 12 milliards d’euros destiné à divers secteurs dans les pays de la région. Ce soutien vise non seulement à renforcer les relations UE-républiques turques d’Asie centrale, mais aussi à fragiliser les liens de ces dernières avec la Turquie et le monde turc dans son ensemble.

Tant que l’Organisation des États turciques (OET) n’affirmera pas sa présence institutionnelle, il sera inévitable que tous les grands acteurs mondiaux — en particulier l’UE, les États-Unis, la Chine et la Russie — continuent de mener ce genre d’agressions politiques. Pour que l’OET devienne un acteur fort sur le plan institutionnel, il est indispensable de lui conférer un statut « supranational ».

Dans ce cadre, aucun pays membre ne devrait prendre seul des décisions aussi cruciales, notamment en matière de politique étrangère, sans prendre en compte les intérêts internationaux de l’ensemble des États turcs. Les processus liés à l’adoption d’un alphabet commun, à l’unification des programmes d’histoire ou encore à l’instauration d’un commerce libre entre les membres doivent également être menés dans un cadre institutionnel supranational.

Il est bien connu que l’Europe, traversant la pire période de ses relations historiques avec les États-Unis, cherche à construire une nouvelle architecture sécuritaire en dehors du cadre de l’OTAN. À ce sujet, les responsables européens comme la diplomatie turque ont multiplié les déclarations de bonne volonté, convenant qu’une architecture sécuritaire européenne sans la Turquie serait irréaliste. Dans la foulée, la relance du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE a même été évoquée.

Cette accélération soudaine et inédite des relations a été bien accueillie tant par l’UE que par la Turquie. Cependant, l’UE, en forçant la main aux républiques turques pour qu’elles reconnaissent l’ACG, a directement ciblé la Turquie sur une question cruciale pour sa sécurité nationale : celle de Chypre. Il est clair que par cette initiative, l’UE cherche à affaiblir la position de la Turquie sur la scène internationale.

Conclusion :

Les relations bilatérales établies par les Républiques turques, qui maintiennent leur indépendance dans la région historique du Turkestan, en particulier ces dernières années avec la Turquie, sont d’une importance capitale et indéfectible pour les deux parties. Le fait que ces relations aient pris forme dans une structure institutionnelle telle que l’Organisation des États turciques (OET), reconnue à la fois au niveau régional et mondial, revêt également une grande importance. Cependant, cette structure n’a pas encore réussi à surmonter certains dysfonctionnements internes. Par conséquent, des situations où les pays membres ne tiennent pas suffisamment compte des sensibilités des uns et des autres continuent d’émerger.

Dernièrement, l’affaire de la reconnaissance de l’Administration chypriote grecque (ACG) par trois républiques turques représente une situation qui est inacceptable pour la Turquie. Toutefois, comme par le passé, la Turquie a évité de faire une déclaration officielle sur cette question, en tenant compte des préoccupations des autres républiques turques, bien que cela soit un sujet d’une grande importance pour elle. Si les républiques turques ont pris la décision d’intensifier leurs relations bilatérales avec l’UE dans le cadre d’une politique de rééquilibrage pour contrer l’influence de la Chine et de la Russie dans la région, et ont dû reconnaître l’ACG dans ce processus, la prochaine étape devrait être une sorte d’excuse de la part de ces pays et la reconnaissance de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) en tant que membre à part entière de l’OET.

Ainsi, grâce à cette démarche, les républiques turques déclareraient au monde entier que la Turquie n’est pas un « occupant » à Chypre et que les Grecs ne sont pas les seuls propriétaires de l’île.

 

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