Quand Une Main Pousse le Monde vers la Chine ; « L’Alternative Impériale »

Le bassin Mésopotamie–Méditerranée, en tant que modèle exemplaire du processus d’unification continentale de tous les peuples opprimés du monde, finira tôt ou tard par s’organiser en un seul pays et un seul État. Cet objectif n’est pas l’affaire des esprits racistes, bornés, tribalistes, sectaires ou occidentalistes. Ceux-là ont déjà épuisé leur tour ; depuis deux cents ans, ils n’ont rien offert à ces terres sinon du sang, des larmes, des guerres civiles, des trahisons, de la collaboration, de l’esclavage, de la dépendance et un complexe d’infériorité. Désormais, le temps est venu pour la volonté organique qui porte l’esprit authentique de cette géographie. Cette volonté est, selon l’expression d’un texte de sagesse, « l’âme du feu éteint dans l’eau ». La braise de l’oiseau Phénix qui renaîtra de ses cendres est l’œil du Simurgh qui atteindra tôt ou tard le but. Cet objectif est la renaissance de la communauté d’Abraham, de la foi hanif, de la tradition authentique, autrement dit, de la nouvelle naissance d’Adam.
septembre 22, 2025
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L’article ci-dessous est un résumé actualisé des textes que l’auteur avait publiés dans la revue Yarın en 2004-2005, et qu’il a ensuite inclus dans son ouvrage intitulé La Géopolitique de la Théologie – Dieu, Patrie, Liberté.

Un Nouveau Messie contre le Chaos Mondial : Le Scénario Chinois

L’aile finance-capital de la coalition mondiale considère les puissances conventionnelles comme son principal ennemi. Les États-nations, les religions institutionnalisées, les « grands récits », en somme toutes les dynamiques de résistance potentielles à l’ordre du capital, attirent la haine de la finance-capital. Celle-ci progresse en développant ses propres outils au lieu de s’appuyer sur ces institutions et doctrines traditionnelles. Elle privilégie les organisations non gouvernementales (ONG) aux organisations intergouvernementales (OIG) des États-nations, le droit inter-entreprises aux traités inter-étatiques, la culture d’image capitaliste mondiale aux cultures nationales, l’économie de flux monétaires transnationaux à l’économie nationale, le dialogue interreligieux (humanisme d’origine païenne) à l’essence transcendante de la religion (Tawhid), et la dynamique de l’ambition individuelle au lieu de l’ordre public. Banques, bourses, médias et ONG constituent les principaux instruments du capital global. Or, cette puissance cherche actuellement à s’implanter de façon notable en Inde et en Chine. N’ayant aucune fidélité à la terre, à la tradition ou aux sociétés, elle agit comme si elle était en quête d’un nouveau continent à découvrir. Les contradictions internes avec l’aile conventionnelle des États-Unis apparaissent comme la raison principale de cette recherche. En effet, la question de savoir qui, au sein de l’élite suprême qui gouverne l’ensemble de la structure américaine, sera l’ultime instance de décision, semble avoir imposé au capital global la recherche d’une base de repli. L’établissement d’un nouvel ordre mondial sur la base de l’aile conventionnelle, à travers des États régionaux et nationaux, impliquerait pour la finance-capital de nouvelles contraintes. C’est pourquoi il semble que le capital global se prépare non pas à une renaissance centrée sur l’Amérique, mais à une nouvelle naissance centrée sur la Chine. (Le propriétaire de la plus grande banque de Chine est Rockefeller. Les familles Rockefeller, Rothschild, Morgan, etc., présentées comme juives, sont, à l’époque moderne, ce que fut Esdras à l’Antiquité : tout comme les premiers Juifs, conduits par Esdras, que l’impérialisme aryen-perse du Ve siècle av. J.-C. Fit venir du sous-continent indien pour les installer en Mésopotamie afin de contrôler le commerce, ces familles sont devenues les nouveaux Esdras de l’Occident (d’abord des Allemands, puis des Anglais), reliant le parti juif à la porte des Aryens et dirigeant, au nom de l’Occident, le commerce mondial en tant que figures emblématiques du fascisme aryen.)

La Chine est en réalité un continent isolé du monde, à l’image de l’Amérique au Xve siècle qui attendait d’être « découverte ». Le maoïsme, avec son élite dirigeante marquée par une tradition de contacts avec l’Occident notamment avec l’Angleterre et son caractère politico-économique, représente une sorte de boîte fermée. Du point de vue de la tradition du capital global, qui, dans l’histoire, a dirigé le commerce mondial en conflit avec les puissances conventionnelles sous les formes de Phénicie, Carthage, Venise ou encore la Compagnie des Indes orientales au XVIIIe siècle, la Chine est le lieu le plus favorable pour abandonner le continent américain et ouvrir une nouvelle page, en orientant le processus mondial autour de l’axe pacifique. Les forces de la finance-capital se concentrent silencieusement en Chine. En particulier, les investissements massifs dirigés vers la Chine, la production de technologies avancées et les relations fermées établies avec la finance-capital laissent penser qu’un nouvel empire est en train d’être construit : en apparence chinois (ou indien), dirigé par des élites locales, mais en réalité gouverné en arrière-plan par les barons du capital global. Dans ce contexte, il est remarquable que, comme toutes les grandes puissances potentielles, l’image des États-Unis soit également érodée par les instruments contrôlés par la finance-capital. Par exemple, les mécanismes qui ont diffusé au monde entier les atrocités commises en Irak relèvent du contrôle de cette puissance financière. C’est comme si la finance-capital menait une sorte de guerre froide interne aux États-Unis pour faire pression sur l’aile rivale.

Avec un pays dirigé par une créature feignant la folie, et un système de chantage global où le lobby juif comparé à un « FETÖ américain » manipulerait les élites dirigeantes de tous les pays à travers des méthodes de type Epstein, l’ordre mondial de la finance-capital se poursuit sans obstacle et sans alternative. Dans ce climat de chaos, Israël, en feignant la folie et en massacrant femmes et enfants à Gaza, répand une terreur digne des Mongols et semble adresser à chaque nation le message : « Nous pouvons vous faire subir le même sort. » En épuisant et en terrorisant l’humanité, le sionisme pousse les peuples à rechercher un autre sauveur — un messie. Le « parti juif », par Israël et par ses moyens de chantage, mène une guerre contre les valeurs anciennes de l’humanité ; cela contribue à diaboliser davantage les États-Unis et à nourrir la quête d’une puissance alternative. De la même manière que, après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis s’étaient imposés comme libérateurs d’un monde fatigué par les impérialismes anglais, français et allemand  incarnant des valeurs de liberté, démocratie et développement , la Chine apparaît aujourd’hui comme une candidate silencieuse et patiente à ce rôle. Face à l’agressivité américano-juive qui plonge l’humanité dans le sang et les larmes, elle se prépare à monter sur scène en promettant technologies nouvelles, prospérité économique et modernité sociale, avec la perspective d’édifier un nouvel ordre mondial. Le diable, après avoir porté les masques anglais, américain, juif, allemand, français et russe, semble désormais prêt à endosser le masque chinois pour jouer le rôle du mahdi-messie.

Il est évident que le fascisme aryen global refuse catégoriquement toute volonté unificatrice dans le monde islamique. De même, les scénarios de fragmentation de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak, de l’Arabie, de l’Égypte ou de la Syrie, mentionnés dans certains rapports de prospective américains, émanent de la puissance de la finance globale. Ce pouvoir paraît chercher à saboter toute renaissance d’un « néo-ottomanisme », ou, à défaut, à la transformer en un projet du « Grand Israël ». L’Iran, en tant qu’allié du fascisme aryen au Moyen-Orient, a déjà semé des divisions confessionnelles destructrices à travers son croissant chiite, alimentant guerres et chaos. La coalition américano-israélienne, qui a pris le relais des massacres de musulmans en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen, tente maintenant, par les massacres et attaques terroristes débutant à Gaza, de détruire l’ébauche d’une grande possibilité Mésopotamie–Méditerranée (Rome musulmane/Empire ottoman). Enfin, l’élimination de l’islam en tant que religion figure également dans le programme de cette puissance. Car le seul véritable résidu de résistance au projet d’asservissement global visant à transformer l’humanité en troupeaux guidés par une infime minorité se trouve, malgré sa dispersion, son manque de projet et son aspect brut, dans le monde islamique.

Voici que l’objectif ultime, ou la conséquence naturelle, de ces opérations démoniaques est que de nombreuses victimes pays, États, sociétés ou organisations se plient vers la Chine pour résister à cette brutalité, tandis que les autres, en se soumettant, deviennent des instruments de la puissance agressive. Comme à l’époque de la guerre froide, pour ceux qui refusent de se soumettre au front anglo-saxon-juif, on prépare de nouveau une prétendue alternative, sous le masque de l’anti-impérialisme et du socialisme communautaire. Le rôle que la Russie a joué pendant soixante ans semble désormais être repris par la Chine. « Le pire est l’abus du meilleur. » Au nom de l’anti-impérialisme, de l’anti-judaïsme, de l’anti-occidentalisme, de la liberté des peuples, de la libération nationale, d’un monde égal et libre, l’ordre aryen démoniaque a, durant soixante ans, occidentalisé la moitié de l’humanité, détruit les valeurs ancestrales, effacé la religion et les traditions, supprimé la mémoire collective, et répandu volontairement l’hégémonie capitaliste en Orient afin de parachever son hégémonie mondiale. Aujourd’hui, il se déguise sous les traits de demi-humains chinois, dont l’évolution vers l’humanité ne serait pas encore achevée. Des technologies ultra-modernes, des villes fascinantes, des outils de communication, de transport et de vie en alternative à ceux de l’Occident, des armes défiant l’Occident… Le seul problème réside dans l’absence d’une pensée séduisante, d’alternatives culturelles et sociales, de valeurs spirituelles capables de remplacer le socialisme religieux hypocrite de la Russie. Qui sait ? Peut-être que, comme depuis cinq siècles, de nouvelles philosophies de l’homme, de la religion et de la vie, de nouvelles idéologies attractives et de nouveaux codes culturels de vie sont déjà prêts, tenus en réserve, et ne seront introduits dans l’agenda de l’humanité qu’à partir des années 2030.

 

Une Alternative Impériale (Universelle) face au Nouvel Impérialisme

L’alternative la plus réelle à l’impérialisme mondialiste n’est pas seulement l’anti-impérialisme, mais le développement d’alternatives impériales. Le terme « impérial » signifie ici de grands ensembles multiethniques et multireligieux. Sur chaque continent, les sociétés sœurs que l’impérialisme a divisées et fragmentées pourraient s’orienter vers des intégrations continentales ou régionales, ce qui ferait naître des alternatives impériales. L’Amérique latine, l’Amérique centrale, le bassin Mésopotamie-Méditerranée, le sous-continent indien, l’Asie centrale, l’Afrique et l’Extrême-Asie sont les régions géographiques où pourraient émerger de telles alternatives. Les États-nations de ces bassins pourraient s’unir dans un modèle étatique régional supérieur. Le seul moyen de sortir le monde du projet de l’ériger en territoire d’un seul État global, ou en ferme partagée par quelques grands États occidentaux unifiés, est que le reste du monde se rapproche, s’intègre et forme ses propres unions. Un système d’États impériaux continentaux constituerait l’infrastructure d’un monde multipolaire et garantirait également la paix mondiale.

La Turquie pourrait jouer un rôle précurseur dans l’intégration du bassin Mésopotamie-Méditerranée. Cette politique impériale, érigée en fondement et en finalité de toutes les autres, permettrait d’exprimer chaque décision politique intérieure ou extérieure comme l’ouverture ou la mise en œuvre de cet objectif impérial. Le processus d’adhésion à l’Union européenne, dans ce cadre, représente pour la Turquie une perte de temps. Sur le plan géoculturel, la Turquie n’est pas européenne. En réalité, dans bien des cas, l’européanité est pour la Turquie une insulte, une forme d’humiliation. Le tournant de la dépendance à l’Occident, marqué par la guerre de Crimée, culmina avec la conférence de Paris de 1856 où la Grande-Bretagne et la France inscrivirent l’Empire ottoman comme un État européen. Cette inscription, qui fit sortir l’Empire de son statut d’empire distinct et alternatif pour le réduire au niveau d’un simple État européen, fut en vérité une ironique déchéance de rang. À l’issue de ce processus diplomatique, renforcé par la dépendance économique, l’Empire ottoman devint « l’homme malade ». Pour cette raison, l’identité européenne de la Turquie et les discours développés autour de son adhésion à l’Union européenne portent encore une connotation d’abaissement.

Depuis l’époque ottomane, l’intérêt porté à l’Occident avait pour but de ne pas manquer la modernisation technologique et sociale. Cependant, le processus des Tanzimat considéra la modernisation comme une occidentalisation et imposa un changement de peau fondé sur un complexe d’infériorité face à l’Occident. Pourtant, une politique de modernisation authentique aurait permis de produire les prétendus acquis de la civilisation que l’on croyait propres à l’Occident. Or, deux siècles plus tard, aujourd’hui, en Turquie comme dans nombre d’autres sociétés non occidentales, on peut récolter, avec un peu d’effort, les fruits de politiques de modernisation originales, en produisant, dans les domaines de la population éduquée, du développement technologique, de l’urbanisation et autres, des modèles parfois supérieurs à ceux de l’Occident. La période de transformations vertigineuses du XIXe siècle a pu empêcher le monde non occidental de franchir ces étapes. Mais aujourd’hui, il n’existe plus aucune justification rationnelle pour continuer de défendre les objectifs et la manière d’occidentalisation d’il y a cent ans.

Aujourd’hui, toutefois, être dépendant de l’Occident et entretenir des relations ou alliances avec l’Occident sont souvent confondus. L’effort pour sortir de la dépendance à l’Occident ne signifie pas se couper du monde, au contraire, il permet de retrouver et d’intégrer le monde réel. En raison de sa politique d’occidentalisation, la Turquie est devenue incapable de connaître ou de reconnaître le monde extérieur. Il en va même des pays voisins avec lesquels nous étions unis par le statut de province il y a quatre-vingts ans : soit nous ne les connaissons pas du tout, soit nous ne les connaissons qu’à travers les médias occidentaux. Dans ce contexte, le processus d’adhésion à l’Union européenne ne représente aucune innovation, hormis la pérennisation et la légalisation de cette dépendance. Suspendre l’adhésion ou lui donner un statut particulier constitue la voie conforme aux véritables intérêts de la Turquie.

Le bassin Mésopotamie-Méditerranée correspond aux plus vastes frontières de l’Empire byzantin et ottoman. Ces frontières peuvent être actualisées et des voies d’intégration sur une géographie plus large peuvent être recherchées. Les ressources énergétiques, les ressources humaines, le savoir accumulé, la main-d’œuvre capable de produire la technologie, les dynamiques civilisationnelles et les valeurs humaines — tout, absolument tout, est présent dans cette région. L’impérialisme mondialiste circule déjà dans ces zones pour s’emparer de cette richesse. Il présente son monde aux populations locales comme des images brillantes, tandis que celles-ci œuvrent depuis des siècles pour partager équitablement les richesses de la région. Le problème réside dans la perte de confiance en soi dans cette zone. Le complexe d’infériorité face à l’Occident a produit une paralysie incapable de résoudre ses propres problèmes. Cette paralysie et ce manque de confiance ne pourront être surmontés que par l’organisation d’un État commun, incarnant l’unité volontaire de tous les peuples de la région, et par son asabiyah. Un processus d’intégration régionale mobiliserait les richesses, les potentiels et les dynamiques cachées que l’impérialisme convoite et que nous avons perdues.

Par exemple, le Grand Projet du Moyen-Orient (BOP) a été mis en avant de manière frappante en s’appuyant sur l’exploitation de ces potentiels. Le néo-ottomanisme, le rôle de modèle de la Turquie, le besoin de changement dans la région, la puissance de l’Islam, le rôle de synthèse entre Orient et Occident, l’élimination des dictatures et l’établissement de gouvernements démocratiques — tous ces enjeux et solutions, exprimés depuis des décennies par chaque personne sensée vivant sur ces terres, sont exploités. Bien entendu, ces constats sont justes et existent réellement dans notre région. Ce qui est faux, c’est que l’impérialisme agit comme s’il les désirait, pour s’installer dans la région avec ses agents et élites.

Dans ce sens, il ne faut pas oublier que ce qui est mis à l’ordre du jour au nom du BOP correspond depuis longtemps aux objectifs propres de tous les sages de la région, et qu’il faut chercher les moyens réels de les atteindre. Nul ne doit douter qu’un Moyen-Orient véritablement grand et unifié assurerait l’expulsion de l’impérialisme américain de la région. Car cette géographie est imprégnée de l’Islam et du christianisme oriental monothéiste. Cette essence ne sert pas l’impérialisme. Il peut y avoir aujourd’hui des éléments musulmans ou chrétiens collaborant avec l’impérialisme mondialiste, mais eux aussi deviendront demain des acteurs du réveil de la région par ses propres dynamiques. La dynamique de peur mentionnée précédemment produit, face à des projets comme le BOP, une paralysie et une confusion mentale. Pourtant, la confiance en soi et la foi sont à la base de tout. La formation d’une puissance régionale impériale et le rôle précurseur de la Turquie sont un processus inévitable et, en définitive, un projet profondément national.

La Turquie n’a pas l’obligation de choisir entre les États impérialistes. Mais elle doit rester ouverte à toute coopération qui servirait le projet de formation d’une puissance régionale impériale. Dans ce sens, au lieu du processus d’adhésion à l’UE qui fait perdre du temps à la Turquie, il faudrait développer avec l’UE uniquement des relations spéciales et limitées — par exemple, comme l’Union méditerranéenne.

D’autre part, les relations avec les États-Unis pourraient être réorientées pour passer de la dépendance à un niveau de relations égalitaires, en incluant des options telles que l’incitation au retrait des États-Unis de la région, la sortie de la Turquie de l’OTAN ou la transformation de l’OTAN en une force de police mondiale limitée et sous contrôle de l’ONU. De même, demander un droit de veto pour le monde islamique à l’ONU ou utiliser la présidence de l’OCI à cette fin renforcerait la Turquie face aux États-Unis et à l’UE. Les relations avec la Russie peuvent être évaluées dans le même cadre. Il suffit que la Turquie dispose de son propre projet et de sa propre politique.

La vision impériale se développe en surmontant la peur. La Turquie peut faire des mouvements qui abandonnent la paranoïa de la défaite fondée sur la peur et le sentiment de retard.

Dans ce cadre, il ne faut pas oublier que chaque fois que des projets ambitieux tels que la croissance de la Turquie, l’Empire ottoman, le néo-ottomanisme ou l’intégration avec les voisins sont évoqués, certains éléments réagissent avec des thèses telles que « ils vont diviser la Turquie, d’abord la corroder puis la fragmenter, l’ottomanisme anglo-américain, etc. » Ces éléments, qui considèrent la Turquie indépendante, grande et historique comme trop ambitieuse, intègrent le système d’auto-colonisation, acceptent les frontières de Sykes-Picot comme une loi immuable et surveillent les mines installées entre Turcs, Kurdes, Arabes et autres peuples frères et co-religionnaires. Ces éléments ont également laissé s’exprimer la haine des Arabes selon la rhétorique israélienne et l’islamophobie de leurs gènes, exploitant les réfugiés et enflant les restes mongols d’Anatolie ou les conversions supposées judéo-orthodoxes sous prétexte de « turcité », pour tenter de créer une population fasciste. Malheureusement, ces éléments continuent, au sein de l’État, à castrer la mission historique des vrais Turcs par la peur. La raison pour laquelle ceux qui ne sont pas vraiment Turcs mais se déclarent tels deviennent de plus en plus agressifs et audacieux, est que quiconque s’oppose à la croissance, à la paix intérieure, à l’influence régionale et au rôle de la Turquie comme alternative mondiale reçoit facilement soutien et appui de nombreuses puissances ; États-Unis, Israël, Royaume-Uni, France, Russie, etc. Déjà, dans les moments les plus faibles du pays, ceux qui ont confisqué l’État, l’ont transformé en régime d’auto-colonisation sous le concept de « turcité », ont pillé la langue, la religion, la culture, l’unité, la fraternité, les biens et les propriétés du peuple, et présenté leur nouveau sultanat comme un ordre éternel et immuable — un modèle indiscutable. L’art de gouverner par la peur est un crime qu’ils ont appris de leurs maîtres. Derrière le discours « sans nous, le pays sera divisé, régressera, deviendra Iran, Arabie Saoudite ou Afghanistan », se cache la même arrogance du faux sauveur. La Turquie décidera, sans jamais céder aux intrigues de ces agents occidentaux, faux marchands de turcité et impurs aux sangs étrangers, en s’appuyant sur la raison et la conscience organiques de son peuple, sur les questions de survie et d’avenir ainsi que sur ses projets pour l’horizon futur.

Dans ce cadre, un processus de recentrage intérieur doit être lancé en parallèle avec cette vision impériale.

La première étape de ce processus consiste à établir que l’État appartient au peuple. Le processus de démocratie lumpen, qui s’oppose à la démocratie tutélaire, doit être interrompu, et les possibilités de véritable démocratie doivent être révélées, c’est-à-dire que la souveraineté inconditionnelle et absolue du peuple doit être instaurée. La mesure en est simple : sur toutes les questions critiques, le peuple dira le premier et le dernier mot, et chacun, absolument chacun, s’inclinera devant la décision du peuple. Aucun organisme ou centre ne peut émettre de voix supérieure à celle du peuple. Toutes les discussions et conflits : voile, laïcité, question kurde, débats sur les minorités et les choix permanents de politique extérieure; doivent être résolus en les soumettant à l’approbation, la décision, l’inclinaison et le contrôle du peuple. C’est la règle fondamentale sur laquelle toute la démocratie doit s’accorder.

L’oligarchie soutenue par l’Occident, produite par le système, doit être totalement éliminée en confisquant tout son pouvoir économique et bureaucratique. L’État doit être reformatté comme le centre de rayonnement de l’intégration impériale et entièrement démocratisé comme une force représentative du peuple. Le seul propriétaire de l’État est le peuple, sans distinction.

Pour le processus d’intégration impériale, la Turquie doit compléter sa révolution démocratique et, en ce sens, achever son intégration intérieure c’est-à-dire se « nationaliser » conformément à cet objectif. Ce processus de reconstruction impériale peut commencer extérieurement par une première expérience sous la forme d’une fédération avec la Syrie et l’Irak. De même, des alliances tactiques avec l’Iran, et une intégration fédérative avec la Bulgarie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, l’Albanie, la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, l’Égypte, la Jordanie et la Géorgie, ainsi que diverses alliances et intégrations avec la Chine de l’Est, le Turkestan de la mer Caspienne, l’Afrique, le Maghreb et les pays méditerranéens, et des coopérations non territoriales avec l’Asie et l’Amérique latine peuvent être réalisées simultanément sous différentes formules équilibrées. Des liens spéciaux peuvent également être établis avec certains États des États-Unis et certains pays européens. La voie de la sauvegarde et du renforcement du territoire national et de l’existence de l’État-nation réside dans l’arbitrage interne et externe. Sur la base des réflexes intériorisés de la tradition Romano-Byzantine, Seldjoukide et Ottomane, présentés comme alternatifs, et de l’accumulation démocratique de l’expérience moderne de l’État-nation, un système d’existence et de survie plus avancé doit être construit.

Ces objectifs sont plus réalistes et honorables que l’illusion de l’adhésion à l’UE ou que la version déjà pratiquement paralysée des alliances avec les États-Unis et l’OTAN. Ce sont au moins des objectifs éprouvés et réussis, qui nous appartiennent, qui ont assuré la paix et reposent sur l’unité et la fraternité. Le seul obstacle à leur réalisation est que la ligne occidentale, qui considère ces objectifs comme fictifs et croit à des relations réalistes avec l’UE et les États-Unis, continue de dominer en tant qu’autorité et instance décisionnelle au nom du peuple. La révolution démocratique est, en même temps, une révolution contre cette oligarchie occidentale. L’État du peuple, c’est-à-dire l’État représentant la fraternité des peuples de la région, c’est-à-dire l’État véritable, l’État garant de la liberté et de l’indépendance de ce pays, attend son jour de manifestation en tant que volonté cachée dans le soc de la charrue d’un paysan d’un village anatolien, dans la flûte d’un berger sur une montagne, dans la boutique d’un vieil homme dans un bourg, dans les pages du Coran lues par une grand-mère en banlieue, dans un chant populaire, un proverbe, un conte ou une anecdote. (De nos jours, il est essentiel de préserver et de protéger une volonté qui, sans jamais céder aux campagnes de haine et de répulsion envers le peuple, à la mise en avant de tout ce qui est mauvais et à la suppression de tout ce qui est bon, met toujours en avant l’érudition anatolienne, la racine spirituelle du peuple et la semence abrahamique de ces terres.) Le peuple de cette géographie — Turcs, Kurdes, Arabes, Tcherkesses, Géorgiens, Albanais, Bosniaques, Arméniens, Grecs, Yézidis, Syriens, Bulgares, Macédoniens, Roms, Criméens, Ouzbeks, Ouïghours, Azerbaïdjanais, Turkmènes, Kirghizes, Kazakhs, Tadjiks, Noirs, Blancs, Alaouites, Sunnites, de gauche, de droite, voire même les non-islamophobes occidentaux — tout cela, c’est « nous », et « ce paradis et cet enfer sont à nous ». La vision impériale considère l’homme avec la conscience des « enfants d’Adam, du peuple d’Abraham, de la communauté de Muhammad » et requiert que chacun, au lieu de se concentrer sur son propre démon, frappe ensemble le véritable démon commun. Face au fascisme aryen et aux créatures semi-simiens de Chine et d’Inde dans lesquelles il investit aujourd’hui, le lien avec tous les peuples encore humains en Occident selon cette vision  certains à travers la filiation adamique, d’autres à travers les gens du Livre, d’autres encore à travers les valeurs monothéistes ; afin de créer une conscience humaine commune, constitue l’effort intellectuel le plus important.

Le Bassin Mésopotamie-Méditerranée, en tant que modèle exemplaire du processus d’intégration continentale de tous les peuples opprimés du monde, s’organisera tôt ou tard en un seul pays et un seul État. Cet objectif n’est pas l’affaire des esprits racistes, étroits, tribaux, sectaires ou occidentalisés. Ils ont épuisé leur tour et, depuis 200 ans, n’ont offert à ces terres rien d’autre que du sang, des larmes, des guerres civiles, des trahisons, des collaborations, de l’esclavage, de la dépendance et un complexe d’infériorité. Maintenant, c’est au tour de la volonté organique portant l’esprit authentique de cette géographie. Cette volonté est, selon une expression d’un texte de sagesse, « l’âme du feu éteint dans l’eau ». La braise du Phénix qui renaîtra de ses cendres est l’œil du Simurgh qui atteindra finalement son objectif. Cet objectif est la renaissance du peuple d’Abraham, de la foi hanif, de la tradition authentique, en d’autres termes, d’Adam.

L’horloge de notre destin* pourra travailler à partir de ce moment, avancée depuis l’instant où elle a été arrêtée, avec cet esprit.

 

 

*« Combien étions-nous éloignés du Tigre

Alors que nous étions nés si près de lui

Le Tigre, dont les mousses au bas ont donné naissance

À une ville, Bagdad, ton pays

Bagdad, mon frère, ton pays

La lune tombe sur le Tigre et s’élève vers la terre à nouveau

Arracher le miroir, tout le long, arracher le miroir du soleil

Avec une épée de conquête claire et nette fendue du soleil

Ta ville est ma ville et la ville de nous tous

Une ville sur un fleuve qui a lavé nos âmes et nos corps

Elle a coulé en nous sans distinction de nuit ou de jour

Portant sur son corps des traces et des taches

Du château de Kara Amid

Des blessures ornant la peau du tigre comme du verre

Les blessures du cœur au-delà du physique

Et une ville qui annonce

Depuis le ciel avant même que le ciel ne fût créé

Je n’ai pas vu Bagdad, bien que je l’aie tant voulu

Ils nous ont privés l’un de l’autre

Nous nous sommes privés nous-mêmes

De nous-mêmes à nous-mêmes

Bagdad, dont le mortier est le sang des martyrs de Kerbala

Capitale de la civilisation islamique

La paix d’Harun al-Rachid

La justice d’Imam al-Zam

Les yeux de Junayd

Le cœur de Geilani

Et le souvenir de Khalid

Le pays des Mille et Une Nuits

La réalité des mille et un jours

Le jour de Fuzuli

Le souffle de Leyli et Mecnun

Et nourri du sang de Hallaj al-Mansur

Un peuple part d’ici vers un lieu inconnu

Balayant ses souvenirs dans les cendres d’un vent chaud 

Et le messager dit : que devient Bagdad

Où sont ses murs protecteurs et ses rideaux

L’homme vit dans l’œuvre

Mais où sont l’homme et l’œuvre

Chaque pierre tombée est ma pierre

Chaque maison détruite est la mienne

Tout s’effondre à partir de moi

Je m’effondre, l’effondré c’est moi

Et le messager dit : l’effondré, c’est moi

Dans la pierre, dans l’eau, dans la datte

Dans la gorge de l’oiseau

Dans la roue de la voiture, dans une particule de pétrole

Dans chaque particule, je meurs

Celui qui meurt, c’est Bagdad, c’est moi »* 

Et le messager dit :

« Je suis la lune qui brûle, le soleil qui s’éteint

Je suis le soir qui s’effondre, la nuit qui arrive

Pourquoi n’as-tu pas compris tout cela

Ô toi qui as transformé la clé d’or de Bagdad en cendres »

 

Sezai Karakoç (L’Horloge de notre destin)

 

Source : La géopolitique de la théologie : Dieu-Patrie-Liberté, Éditions Yarın, 2007

 

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