Kevin J.A. Thomas
L’administration de Donald Trump a publié, en juin 2025, un décret présidentiel interdisant aux citoyens de 12 pays de voyager aux États-Unis. Elle a également imposé des restrictions d’entrée aux ressortissants de sept autres pays.
Près de la moitié des pays concernés par ces mesures se trouvent sur le continent africain. Cette situation accroît les inquiétudes quant à l’avenir de la migration de l’Afrique vers les États-Unis.
Ces restrictions font partie des nombreuses nouvelles menaces et opportunités qui influencent les dynamiques de la migration africaine.
En tant que démographe social, j’ai récemment, avec un coauteur, identifié dans une étude plusieurs tendances qui façonneront l’avenir des flux migratoires africains et qui diffèrent des modèles de migration passés. Au moins cinq nouvelles tendances émergent :
■La migration entre pays africains ne suit plus les schémas de migration de main-d’œuvre propres à l’époque coloniale.
▪︎Les Africains migrent vers de nouvelles destinations telles que l’Amérique du Sud et l’Asie.
▪︎On observe une diversité accrue concernant qui sont les migrants africains, pourquoi et comment ils migrent.
▪︎On constate une migration significative vers le continent en provenance de pays extérieurs à l’Afrique (par exemple de la Chine).
▪︎Des institutions comme les municipalités et les autorités traditionnelles jouent un rôle de plus en plus important dans la migration.
Je soutiens que ces tendances vont s’accélérer avec les changements démographiques de l’Afrique. Par exemple, d’ici 2050, le continent devrait avoir la plus grande population jeune au monde.
Or, l’inclination à migrer se concentre généralement dans les tranches d’âge les plus jeunes. Ainsi, la vaste jeunesse africaine influencera l’évolution des flux migratoires internationaux bien plus que les populations migrantes d’autres régions.
Les Facteurs qui Façonnent les Tendances
L’un des facteurs qui façonnent ces tendances est l’intensification des efforts visant à réglementer la migration internationale depuis l’Afrique. Le décret présidentiel de Trump n’en est qu’un exemple.
De nombreux pays occidentaux ont élaboré de nouvelles politiques qui limitent, directement ou indirectement, les possibilités de migration depuis l’Afrique.
Par exemple, au Canada, le projet de loi présenté en juin 2025 sous le nom de « Loi sur des Frontières Sûres » (Strong Borders Act) en constitue une illustration. Des inquiétudes existent quant au fait que cette loi restreindra les protections offertes aux réfugiés et contraindra les demandeurs d’asile dépourvus de statut légal à vivre dans la clandestinité. Ces conséquences pourraient avoir un effet négatif sur la réinstallation des réfugiés africains au Canada.
Dans le cadre de contrôles plus stricts, les pays occidentaux limitent également l’accès des Africains aux visas. Les Africains qui sollicitent un visa pour voyager en Europe font face à des taux de refus disproportionnellement élevés.
De telles restrictions ne sont pas prises en compte par les principales théories migratoires, car la plupart de ces théories mettent l’accent sur l’influence des facteurs économiques, sociaux et politiques. Pourtant, il est admis que ces restrictions, à elles seules, peuvent affecter négativement les flux migratoires globaux en provenance d’Afrique.
Le deuxième facteur qui façonne les tendances migratoires africaines concerne l’évolution des schémas migratoires au sein du continent.
Le nombre d’Africains migrant vers d’autres pays africains a toujours été supérieur à celui de ceux migrant vers l’Occident. Par le passé, ces migrations intra-africaines s’organisaient autour de la main-d’œuvre, notamment pour faciliter l’exploitation des ressources coloniales dans des pays comme la Côte d’Ivoire ou l’Afrique du Sud.
Cependant, la dynamique de ces mouvements a changé ces dernières années. Par exemple, aujourd’hui, les destinations à la croissance la plus rapide pour les Africains se situent en Afrique centrale. Selon les estimations des Nations Unies concernant les migrants internationaux vivant dans les pays africains, le nombre de migrants en Guinée équatoriale est passé de 2 740 en 1990 à 230 618 en 2020 ; en Angola, de 33 517 à 656 434 ; et au Tchad, de 74 342 à 547 494.
À l’échelle du continent, de nouvelles destinations apparaissent également. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, celles-ci incluent l’Égypte, le Maroc, le Burkina Faso et l’Éthiopie.
Ces évolutions montrent que de nombreux Africains se dirigent désormais vers des destinations différentes de celles privilégiées à l’époque coloniale, sous l’effet de facteurs tels que la recherche de meilleures opportunités économiques et la quête de refuges sûrs face aux conflits.
Le troisième facteur important qui influence les tendances est la transformation des destinations mondiales vers lesquelles migrent aujourd’hui les Africains. Avec la diminution des opportunités de migration vers l’Occident, les migrants africains explorent de plus en plus les possibilités d’émigrer vers l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Australie.
Au cours des trente dernières années, les Africains se sont rendus en nombre significatif dans des pays d’Asie tels que la Chine et le Japon, afin d’y poursuivre leurs études ou de profiter d’opportunités professionnelles.
On estime qu’environ 500 000 Africains vivent aujourd’hui en Chine.
Beaucoup d’entre eux exercent comme entrepreneurs dans des centres d’affaires tels que Guangzhou. Mais il existe également d’importantes communautés africaines installées dans des villes comme Hong Kong, Shanghai et Pékin.
La population d’origine africaine a également augmenté en Australie, en Israël, au Japon et en Russie. Par exemple, avant 1980, on comptait très peu de migrants africains au Japon, alors qu’en 2015 ce nombre avait atteint environ 12 000.
Les migrants africains voyagent aussi de plus en plus vers des pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, qui constituent soit des points de passage dans leur tentative d’atteindre les États-Unis, soit des lieux d’installation définitive.
Les migrants venant d’Afrique sont également de plus en plus disposés à prendre des risques lorsqu’ils émigrent vers des pays à revenu élevé. Cela a conduit à la mort de milliers de personnes parmi ceux qui tentaient de rejoindre l’Europe à travers le désert du Sahara et la Méditerranée.
Il est certain que les restrictions politiques concernant la migration de l’Afrique vers les pays occidentaux auront de nombreuses conséquences négatives. Cependant, les flux migratoires s’adaptent toujours de manière à soutenir le bien-être des communautés à travers le monde.
*Kevin J.A. Thomas. Professeur distingué de sociologie, Université Rice
Source:
https://theconversation.com/african-migration-5-trends-and-whats-driving-them-261511
