Stagnation Démocratique

En conclusion, la stagnation à laquelle la démocratie est confrontée à l’échelle mondiale ne découle pas uniquement des insuffisances systémiques ou des ingérences extérieures. Elle s’alimente également de l’affaiblissement de l’imaginaire démocratique, de la perte d’espérance des citoyens à l’égard de la démocratie et de la normalisation des discours portés par des acteurs guidés par des intérêts particuliers. Pour surmonter la stagnation démocratique, il faut à la fois une volonté de réforme interne et le développement d’une solidarité démocratique ainsi qu’une consolidation intérieure face aux ingérences extérieures.
août 22, 2025
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À l’échelle mondiale, la stagnation à laquelle la démocratie est confrontée ne découle pas uniquement des insuffisances systémiques ou des ingérences extérieures. Elle s’alimente également de l’affaiblissement de l’imaginaire démocratique, de la perte d’espérance des citoyens à l’égard de la démocratie et de la normalisation des discours des acteurs motivés par des intérêts particuliers.

Pour surmonter cette stagnation démocratique, il faut à la fois une volonté de réforme interne et le développement d’une solidarité démocratique ainsi qu’une consolidation intérieure face aux ingérences extérieures. À défaut, la démocratie ne sera plus seulement une forme de gouvernement, mais un idéal relégué au passé.

L’un des sujets fréquemment débattus ces dernières années est la démocratie, son fonctionnement démocratique et les problèmes qui en surgissent. En raison de certaines interrogations concernant les processus d’application, les inquiétudes augmentent et cela est qualifié de « stagnation démocratique ». Même si l’on pense que ces inquiétudes sont exagérées, les données montrent que la démocratie n’a pas totalement disparu. Par exemple, selon l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale, il existe, malgré leurs différences, un système démocratique dans 120 pays à travers le monde.

D’un autre côté, il apparaît que des élections sont régulièrement organisées, indépendamment de leurs résultats. Par exemple, en 2024, des élections ont eu lieu dans 77 pays dans le monde. Malgré cette fréquence électorale, il est clair qu’il existe des problèmes concernant la qualité du fonctionnement démocratique. Les concepts utilisés pour décrire cette situation – « stagnation démocratique », « régression démocratique » ou « crise de consolidation démocratique » – portent des significations proches. Le concept de stagnation souligne ici que le système politique ne devient pas autoritaire, mais que la politique rencontre des difficultés dans sa dimension réformiste : elle ne produit pas de nouveauté, la dynamique sociale s’affaiblit et la capacité d’influencer la politique diminue.

 Stagnation Démocratique

Tout d’abord, précisons que la stagnation démocratique désigne la situation dans laquelle un système démocratique ne connaît ni progrès ni recul. En d’autres termes, cela correspond au fait que la démocratie, après avoir atteint un certain niveau, perde son caractère novateur et réformiste, et reste figée à un stade donné en raison de réflexes introvertis. Malgré les inquiétudes, interrogations et problèmes relatifs à la démocratie, le fait que le peuple puisse exprimer sa volonté par le vote et disposer du pouvoir de déterminer le gouvernement par les élections confirme que la démocratie demeure le meilleur modèle de gouvernance. Cependant, la question réside dans l’affaiblissement des effets des instruments formels de la démocratie (élections, parlement, médias), malgré leur existence.

Il convient donc de discuter les causes de la stagnation démocratique, de les concrétiser et d’identifier les facteurs qui l’influencent. Car se limiter à évoquer la stagnation et « se lamenter » ne résout pas le problème. Il est évident que les facteurs à l’origine de cette stagnation peuvent varier selon les positions politiques des individus. Mais pour formuler des propositions concrètes pour l’avenir, il est utile de préciser les éléments qui influencent la situation. Ainsi, deux grandes catégories apparaissent devant nous : les causes internes et les causes externes.

Les Causes Internes de la Stagnation Démocratique

Nous pouvons regrouper les causes internes de la stagnation démocratique en six grands axes. La première est un système politique fermé aux réformes. Même si les institutions démocratiques subsistent, le fait que le système politique soit fermé aux innovations et peu enclin aux réformes constitue un problème sérieux. Les réformes sont perçues comme risquées, reportées ou jamais mises à l’ordre du jour. Cela conduit à l’incapacité du système à se renouveler.

La deuxième est l’accroissement de la polarisation politique et de la politique identitaire. La polarisation entre acteurs politiques, le durcissement du langage politique et l’affaiblissement du dialogue éliminent la culture du compromis. Cela affaiblit le dialogue non seulement entre partis, mais aussi au sein de la société. La mise en avant de la politique identitaire au détriment des valeurs publiques communes accentue la polarisation sociale et affaiblit le soutien populaire aux réformes démocratiques. Les nouveaux médias et en particulier les contenus tels que les micro-trottoirs contribuent encore davantage à alimenter cette polarisation.

La troisième est la déconnexion des partis traditionnels d’avec le peuple. Les partis traditionnels ou centristes perdent leur contact avec la population, rencontrent des difficultés à entendre les demandes sociales et se focalisent sur les événements. Leurs « activités politiques » se transforment progressivement en événements symboliques vides de contenu. Cette situation affaiblit à la fois la participation du peuple au processus politique et le pouvoir de représentation des partis.

La quatrième est l’inégalité économique et le désespoir. Les inégalités de revenu créent de graves difficultés de subsistance, notamment au sein des groupes à revenus faibles et moyens. Les individus préoccupés par la survie économique perdent de l’intérêt pour le processus politique. Les difficultés économiques ne sont pas seulement matérielles : elles sapent également l’espoir en l’avenir, érodant ainsi la confiance et le sens que véhicule le système démocratique. Pourtant, pour l’avenir du pays, il est essentiel que l’institution politique entretienne cet espoir.

La cinquième est la désinformation numérique. Les fausses informations diffusées sur les médias numériques entravent l’accès sain du public à l’information et ont des effets négatifs sur la conscience démocratique. Les contenus dont la véracité est discutable et le langage polarisant des médias sapent la confiance envers la démocratie.

La sixième est la préoccupation pour la sécurité et la stabilité. En raison des crises mondiales, des migrations irrégulières et des menaces telles que le terrorisme, la priorité donnée à la sécurité peut prendre le pas sur les réformes démocratiques. Parfois, ces inquiétudes conduisent à considérer les réformes comme risquées et à les reporter. Même si la démocratie n’est pas suspendue, l’absence de renouvellement du système entraîne, avec le temps, une régression du fonctionnement démocratique.

Le résultat le plus négatif de ces causes auxquelles on pourrait en ajouter d’autres; est l’affaiblissement de la projection d’avenir du peuple. La démocratie n’est pas seulement le droit de voter : elle prend son sens également dans l’espoir, la confiance et l’attente de changement. Lorsque cette projection disparaît, le contenu du système démocratique s’appauvrit peu à peu.

Les causes Externes de la Stagnation Démocratique

Expliquer la stagnation démocratique uniquement par des dynamiques internes serait incomplet. Les facteurs internes et externes se nourrissent souvent mutuellement. Dans ce contexte, il apparaît que les approches de politique étrangère de l’Occident – en particulier celles des États-Unis – ont sapé la confiance mondiale envers la démocratie. L’objectif n’est pas ici de produire un discours directement anti-occidental, mais de comprendre comment la notion de démocratie a perdu sa légitimité sur la scène internationale.

La première cause est l’approche interventionniste et à double standard de la démocratie. Dans l’ordre mondial unipolaire, le fait que les États-Unis et leurs alliés aient transformé le discours démocratique en un instrument de politiques interventionnistes a ébranlé la confiance en ce concept. Les interventions extérieures au nom de la démocratie se sont souvent traduites par des opérations militaires et des projets de changement de régime, dont le prix a été payé par les populations des pays concernés. Les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak en sont les exemples les plus frappants. Durant ces processus, le silence ou le soutien indirect d’organisations internationales (ONU, OTAN, FMI, Banque mondiale, etc.) a contribué à la légitimation des politiques mises en œuvre.

La deuxième cause réside dans les approches sélectives et les politiques axées sur les intérêts. La crédibilité du discours démocratique s’affaiblit en raison des contradictions de l’Occident dans son approche des événements à travers le monde. Le fort soutien accordé à l’Ukraine dans la guerre russo-ukrainienne, face au silence sur les crimes de guerre à Gaza et, plus encore, le soutien explicite à un génocide, sont gravés dans la mémoire des sociétés. Nous avons tous appris qu’il est vain de parler de démocratie et de primauté du droit lorsqu’on menace les juges de la Cour pénale internationale et qu’on annonce ne pas appliquer ses décisions. Cependant, il ne serait pas juste d’attribuer l’ensemble de ces politiques aux sociétés occidentales elles-mêmes. Car certains peuples et certains pays (comme l’Irlande ou l’Espagne) se sont opposés à ces doubles standards.

La troisième cause est la coopération avec des régimes totalitaires et le soutien aux coups d’État. Le fait que l’Occident s’allie avec des régimes autoritaires ou soutienne des coups d’État militaires dans certains pays mine également la confiance envers la démocratie. Durant le Printemps arabe, le soutien accordé, notamment en Égypte, au renversement d’un gouvernement élu a révélé clairement les attitudes contradictoires de l’Occident vis-à-vis de la démocratie.

La quatrième cause est l’émergence de nouvelles méthodes d’intervention. Aujourd’hui, les interventions militaires sont remplacées par des méthodes plus « douces » mais efficaces. Les manipulations numériques des processus électoraux, la gestion des perceptions par les réseaux sociaux, les sanctions économiques et les cyberattaques sont devenues de nouveaux instruments d’ingérence dans les démocraties. Ces méthodes sont particulièrement utilisées pour influencer les mouvements d’opposition dans des pays liés à l’Occident.

La cinquième cause est le recours à des puissances alternatives et le risque d’autoritarisme. La méfiance envers l’Occident conduit certains pays à se tourner vers d’autres pôles de puissance comme la Russie et la Chine. Or, le mauvais bilan de ces acteurs en matière de démocratie et l’absence d’un véritable agenda démocratique renforcent les tendances autoritaires au lieu de favoriser le développement démocratique.

En conclusion, l’érosion de la démocratie en tant que valeur universelle. Tous ces facteurs externes ont transformé la démocratie, d’une valeur universelle, en un discours façonné par les intérêts des centres de pouvoir. Cette situation perturbe le processus d’appropriation de la démocratie par les peuples, en particulier dans les pays en développement, et constitue des facteurs externes alimentant la stagnation démocratique.

L’affaiblissement de la Participation Sociale

En parlant de stagnation démocratique, il faut également évoquer la baisse du niveau de participation politique des citoyens, l’affaiblissement de la société civile et le sentiment d’« inefficacité » qui émerge dans la société. En particulier, le désintérêt des jeunes générations pour les processus électoraux, la perte de sens du vote et la diminution de la participation aux débats publics provoquent une paralysie de la démocratie, non seulement au niveau des gouvernants mais aussi des gouvernés. Les recherches fournissent des données qui expliquent ce phénomène.

De plus, la structure algorithmique des plateformes de réseaux sociaux enferme les utilisateurs dans un cercle limité d’opinions similaires, renforçant ainsi la polarisation et affaiblissant la formation d’une opinion publique critique. Cette situation conduit non seulement les citoyens à se fermer aux idées divergentes, mais réduit également leur motivation à participer au processus politique. L’espace de participation offert en apparence par la numérisation tend, de manière paradoxale, à se substituer à la véritable participation politique.

Selon les données de la World Values Survey, l’intérêt des jeunes pour la politique et les élections a nettement diminué par rapport aux générations précédentes. Les données de 2020 montrent que 52 % des jeunes de moins de 29 ans considèrent la démocratie comme une « forme de gouvernement indispensable », tandis que 30 % estiment que « la mise à l’écart du parlement par un leader fort peut parfois être nécessaire ». En Europe, selon l’Eurobaromètre 2023, seuls 42 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans croient que « le système politique les représente ».

En réalité, la participation ne se limite pas au vote. Les individus peuvent également s’impliquer dans le processus politique par divers moyens (pétitions, conseils locaux, manifestations, etc.). Bien qu’il faille évaluer séparément les organisations de la société civile, la croyance dans leur rôle de participation et de contribution à la démocratie diminue également. Par ailleurs, la société civile elle-même connaît une transformation. Les structures traditionnelles d’associations et de fondations laissent place à l’activisme en ligne, aux campagnes ponctuelles et aux réseaux horizontaux. Cependant, ces nouvelles formes présentent des difficultés en termes de durabilité, de responsabilité et de pérennité. C’est pourquoi le rôle de la société civile dans le fonctionnement démocratique nécessite d’être redéfini, à la fois en termes de forme et de fonction.

Pour des informations plus détaillées sur la participation sociale, on peut consulter la World Values Survey – 2020 (Vague 7), l’Eurobaromètre 2023 – Jeunesse et démocratie, les données de l’OCDE sur la participation de la société civile 2022 et l’Enquête sur la satisfaction de vie de l’Institut turc de statistique (TÜİK) – 2023.

En résumé, l’affaiblissement de la participation sociale crée une relation à double sens. D’une part, plus les élites politiques ignorent les demandes populaires, plus le peuple s’éloigne du système ; d’autre part, à mesure que le peuple se retire, le système politique évolue vers une structure fermée. Cette dynamique accentue la crise de représentation et affaiblit la capacité de la démocratie à produire des réformes. Si cette équation persiste, la démocratie se réduira à un cadre symbolique limité aux élections et risque de perdre son caractère participatif et pluraliste.

Néanmoins, dans certains pays, de nouvelles formes de participation mises en place notamment au niveau local comme le budget participatif, les assemblées citoyennes ou les applications de démocratie numérique portent le potentiel de revitaliser la démocratie. Ces pratiques montrent que la démocratie ne se limite pas aux élections et que la participation des citoyens aux processus décisionnels de la vie quotidienne est tout aussi importante que les élections elles-mêmes.

Surmonter la Stagnation Démocratique

 En conclusion, la stagnation à laquelle la démocratie est confrontée à l’échelle mondiale ne découle pas uniquement des insuffisances systémiques ou des ingérences extérieures. Elle s’alimente également de l’affaiblissement de l’imaginaire démocratique, de la perte d’espérance des citoyens à l’égard de la démocratie et de la normalisation des discours portés par des acteurs guidés par des intérêts particuliers. Pour surmonter la stagnation démocratique, il faut à la fois une volonté de réforme interne et le développement d’une solidarité démocratique ainsi qu’une consolidation intérieure face aux ingérences extérieures. À défaut, la démocratie ne sera plus seulement une forme de gouvernement, mais un idéal relégué au passé.

Malgré toutes les évaluations négatives, dans de nombreux pays, les demandes des peuples en faveur de la démocratie demeurent vives. Cela montre que la démocratie n’a pas été totalement étouffée, mais qu’elle est entrée dans une autre phase, qu’elle a changé de direction. Aujourd’hui, la crise de la démocratie n’est pas seulement une crise de régime, mais aussi une crise de représentation, de participation et de confiance. Il s’agit là non seulement de la responsabilité des acteurs politiques, mais aussi de l’ensemble des citoyens. Si chacun fait preuve de sensibilité vis-à-vis de ses responsabilités, il sera possible de redonner vie à la démocratie et de la transformer en une véritable culture de participation qui ne se limite pas aux élections.

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