À l’ombre de la vertu ; Guerre et Paix.

Les personnes vertueuses doivent parler avec les mots de la compassion et de l’empathie. Dans un processus de paix difficile, éprouvant et épuisant, à la veille du renforcement de l’unité et de la fraternité, elles doivent agir avec la conscience de pérenniser l’union et la cohésion, et d’ouvrir la voie à la construction d’un avenir commun, dans la patience et la pondération.
mai 12, 2025
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Caïn et Abel se rencontrèrent après la mort d’Abel. Ils marchaient dans le désert et se reconnurent de loin,

Car ils étaient tous deux très grands. Les deux frères s’assirent sur le sol, allumèrent un feu et mangèrent. Au coucher du soleil, comme des hommes fatigués, Ils ne brisèrent pas le silence. Dans le ciel, quelques étoiles sans nom apparurent.

À leur lumière, Caïn vit la trace de la pierre sur le front d’Abel Et jeta à terre le morceau de pain qu’il allait porter à sa bouche, en suppliant le pardon de sa faute.

Abel répondit :

  • Est-ce toi qui m’as tué, ou moi qui t’ai tué ? Je ne m’en souviens plus ; ici, nous sommes à nouveau ensemble comme autrefois.
  • Maintenant je sais que tu m’as vraiment pardonné, dit Caïn,

Car oublier, c’est pardonner.

Moi aussi, j’essaierai d’oublier.

Abel parla doucement :

« C’est vrai, tant que les remords durent, la faute persiste. »

(La légende de Caïn et Abel – D’’après Jorge Luis Borges, Éloge de l’ombre)

 

Déclencher une guerre, tuer, briser, brûler, détruire, se venger : tout cela est facile. Tout le monde peut le faire.

Faire la paix est difficile. Se réconcilier, faire vivre, construire, créer, pardonner : c’est difficile. Tout le monde ne peut pas.

Provoquer, insulter, blesser est facile. Apaiser, réparer, corriger est difficile.

Diviser, fragmenter, séparer est facile. Unifier, rassembler, compléter est difficile.

Tant que la vengeance continue, la faute persiste. Oublier et pardonner empêche la répétition des fautes du passé.

La vertu est un acte à la manière d’Abel. La vie est représentée par Abel, la mort par Caïn.

La plupart des gens choisissent ce qui est facile ; Choisir ce qui est difficile est un acte vertueux à la manière d’Abel. Les civilisations, les États, les cités sont construites par des gens vertueux.

La philosophie, l’art, les artisanats, la littérature, la musique et l’architecture sont développés par des personnes vertueuses.

La religion, la morale, l’amour, la paix, le partage et la solidarité sont protégés, préservés et vivifiés par des personnes vertueuses.

Dans la lutte existentielle des sociétés, aux tournants critiques de l’histoire, dans les périodes où la paix et la tranquillité, l’unité et la concorde sont établies, ce ne sont pas les destructeurs mais les bâtisseurs vertueux qui jouent un rôle central.

L’homme d’État romain Cicéron disait :

« En des temps malheureux, au milieu de toute notre corruption, Rome a-t-elle besoin de grands noms ?

Non, elle a besoin de vertus. »

En de telles périodes, la véritable question n’est plus le problème lui-même, ses causes, son histoire, les parties impliquées, ni la comptabilité du juste et de l’injuste ; tout cela devient un détail, un décor de scène. Ce qui importe alors, c’est que l’on puisse enfin parler de solution, que la paix, l’unité, la cohésion, la sérénité commencent à être construites, et que l’avenir puisse être imaginé et rendu possible.

Ce qui importe dans de tels moments, c’est que les personnes vertueuses prennent les devants, fassent preuve de volonté, de détermination et de courage, et qu’avec patience et abnégation, elles instaurent les conditions difficiles mais possibles de la construction.

Ce qui compte alors, c’est de choisir la vie plutôt que la mort, la convivialité plutôt que la division, la compassion plutôt que la colère, d’écouter chacun avec empathie, de chercher à comprendre, de respecter chaque opinion, chaque proposition, chaque demande, et d’atteindre un niveau de vertu conforme à l’éthique de la paix en mettant fin à l’immoralité de la guerre.

Comme le dit aussi Rûmî : « Les blessures sont les endroits par où la lumière entre en nous. »

Soigner les blessures, c’est emprisonner la lumière en nous. Les personnes vertueuses sont les guérisseurs sociaux ; elles corrigent le mal par le bien, elles enseignent à porter la douleur avec grâce, à protéger les autres de la violence émotionnelle de leurs propres souffrances.

Pendant que les blessures se referment, les seigneurs de la guerre, les incitateurs, les nécrophiles qui invoquent la mort, les foyers de discorde et de chaos, les porte-voix de la haine et de l’inimitié doivent se taire.

Les tambours de guerre battus par des esprits sans intelligence, sans cœur, sans compassion et sans savoir doivent se retirer.

Désormais, ce sont les vraies personnes, celles qui s’élancent pour un avenir juste, noble, constructif et bénéfique, ce sont les patriotes sincères, qui doivent commencer à parler.

Il faut délaisser le vocabulaire chargé négativement de la période de conflit du passé – des mots tels que problème kurde, terrorisme, séparatisme, PKK, guerre, guérilla, martyr, patrie – et s’habituer à parler avec un lexique positif fait d’empathie, d’idéaux communs, de valeurs partagées, de droit, de justice, de démocratie, d’égalité, de liberté, d’équité et de compassion.

Comme l’exprimait avec colère Cemil Meriç : « Un crâne rempli de cadavres de mots, des concepts dansants ; glissants, disloqués, tels des grains de chapelet dont le fil s’est rompu, éparpillés de tous côtés… »

Il est temps de s’en libérer et de découvrir les mots de la vertu et de la sagesse.

Les mots « Turc », « Kurde », « Turquie », « turc », « kurde », « Kurdistan » ne doivent plus être les codes d’un langage de division, de séparation, d’hostilité et de discorde, mais les termes d’un langage positif qui désigne des réalités naturelles et authentiques, ainsi que les fondements normaux, raisonnables et possibles d’un avenir commun.

Les personnes vertueuses doivent parler avec les mots de la compassion et de l’empathie.

Dans un processus de paix difficile, éprouvant, épuisant, à l’aube d’un renforcement de l’unité et de la fraternité,

elles doivent agir avec la conscience de consolider cette unité, d’enraciner la cohésion et d’ouvrir la voie à la construction d’un avenir commun, avec patience et discernement.

Car à présent, il faut s’attendre à ce que ceux qui se nourrissent de la guerre, du terrorisme, de la division et de la discorde, fassent tout ce qu’ils savent faire de mieux : détruire, briser, attiser et empoisonner.

Mais cette terre, qui a connu toutes les formes de discorde et de chaos, toutes les variétés de division, de conflit, de fragmentation et de lutte, connait aussi très bien la paix, l’unité, l’harmonie, la sérénité et la compassion. Et chaque fois qu’elle en a eu l’occasion, elle a choisi la paix.

Car cette géographie est aussi le berceau d’une profonde mémoire, de valeurs enracinées, d’un instinct vital et d’une intelligence créatrice qui portent en elles, après chaque période de corruption, de dissolution, de désintégration, la volonté de se réunir, de se rassembler, de renaître.

Lorsque l’État, en cette terre, s’approprie l’intelligence de cette mémoire historique, aucun obstacle, aucune discorde, aucune peur ne peut entraver l’ordre, la stabilité, l’existence, la continuité, l’unité et l’intégrité.

Lorsque le peuple réagit avec les réflexes de cette mémoire historique, aucun problème ne reste sans solution, aucune vendetta ne dure éternellement, aucune intrigue ne peut prospérer.

Avec cette conscience, il devient nécessaire de marcher jusqu’au bout, porté par des idéaux communs tirés des cendres du passé et des promesses du futur, guidé par l’intelligence collective et la vertu, dans ce destin qu’est celui de vivre sur cette terre.

C’est ainsi que s’ouvriront les chemins de la réparation du passé perdu et de la construction d’un avenir digne d’être vécu.

Car chacun récolte ce qu’il souhaite : celui qui désire le malheur récolte le malheur, celui qui appelle à l’oppression vit l’oppression,celui qui invoque la miséricorde voit pleuvoir la miséricorde.

L’État et la société, les Turcs et les Kurdes, ne sont plus destinés à l’obscurité, mais à la paix, à la sérénité et à la miséricorde. Il est temps, désormais, de nous rassembler à l’ombre de la vertu, non pour voir grandir nos enfants dans les prisons ou les cimetières, mais dans les foyers, les rues, les montagnes et les mers d’un pays dont nous serons fiers, au sein d’un État de justice dont nous serons honorés, dans la joie, la paix et la dignité.

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