Le silence des armes, la parole à la Turquie

Aujourd’hui, le projet d’une « Turquie sans terrorisme » oblige en réalité le pays à affronter ses propres lignes de fracture internes. Ce problème ne concerne pas uniquement les structures armées dans les montagnes, mais aussi les peurs politiques dans les villes, les divisions internes des partis et les comptes non réglés du passé. Oser une solution signifie également surmonter les peurs. Une « Turquie sans terrorisme » ne se résume pas seulement au désarmement du PKK, mais implique aussi la démocratisation de la Turquie, la reconstruction de la société dans la paix, et l’instauration d’un nouveau langage politique, porté par des pas courageux. Dans les débats autour de la résolution, le concept d’affrontement est souvent utilisé. Notre confrontation prioritaire doit être celle avec les peurs fabriquées et imposées. Il s’agit aussi d’identifier les points de résistance nourris par ces peurs, dissimulés derrière elles, et de les affronter également.
mai 10, 2025
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Aujourd’hui, le projet d’une « Turquie sans terrorisme » oblige en réalité le pays à affronter ses propres lignes de fracture internes. Ce problème ne concerne pas uniquement les structures armées dans les montagnes, mais aussi les peurs politiques dans les villes, les divisions internes des partis et les comptes non réglés du passé. Oser une solution signifie également surmonter les peurs. Une « Turquie sans terrorisme » ne se résume pas seulement au désarmement du PKK, mais implique aussi la démocratisation de la Turquie, la reconstruction de la société dans la paix, et l’instauration d’un nouveau langage politique, porté par des pas courageux. Dans les débats autour de la résolution, le concept d’affrontement est souvent utilisé. Notre confrontation prioritaire doit être celle avec les peurs fabriquées et imposées. Il s’agit aussi d’identifier les points de résistance nourris par ces peurs, dissimulés derrière elles, et de les affronter également.

 

La Turquie, après des décennies de souffrances, de pertes et de polarisation sociale, est de nouveau en quête d’un « avenir sans armes ».

Le projet « Une Turquie sans terrorisme », lancé sous l’impulsion de l’État et du monde politique, semble à première vue être un objectif sur lequel tout le monde peut s’accorder. Par conséquent, il y avait une forte conviction que le processus avancerait de manière saine. Il est clair que, du point de vue des décideurs, il n’y a eu aucun changement, même minime, sur ce point. En particulier, les positions du Président Erdoğan et de Devlet Bahçeli sont très claires. Toutefois, il est également observé que certaines déclarations faites de temps à autre alimentent une perception négative. On constate aussi que le fait de ne pas avoir obtenu les résultats escomptés du processus de résolution dans le passé a eu un impact négatif. Malgré cela, il est clairement visible que le processus actuel vise à la fois à faire en sorte que le PKK dépose les armes, et à confronter les acteurs qui se nourrissent de l’atmosphère chaotique provoquée par les organisations. Ceux qui tentent d’infecter le processus mené avec l’autorisation, l’accord et les instructions du Président devraient se souvenir des déclarations des décideurs.

La politique à un carrefour critique

À un moment où les risques potentiels pesant sur le système mondial sont largement discutés à travers le monde, l’Alliance Populaire (Cumhur İttifakı) et le gouvernement ont affiché une volonté forte, prenant une décision politique majeure pour l’avenir du pays. Cette décision consiste à faire déposer les armes au PKK, à élargir l’espace de la politique civile et à proclamer que la sphère politique est le lieu où toutes les questions et problèmes doivent être débattus et résolus. L’importance, la nécessité et la sensibilité de cette décision se reflètent dans les déclarations des principaux acteurs décisionnels. Parmi les thèmes soulignés dans toutes ces déclarations figure en premier lieu la détermination.

Pour bien comprendre la question et saisir pleinement la volonté du gouvernement, il est utile de citer certains discours. Dans son message du Nouvel An (31 décembre), Erdoğan déclarait : « Dans la période à venir, nous ferons des pas déterminés pour concrétiser notre vision d’une ‘Turquie sans terrorisme’ et d’une ‘région sans terrorisme’. » Lors du rassemblement de Trabzon, le 5 janvier, il affirmait : « Nous atteindrons sans aucun doute notre objectif d’une Turquie sans terrorisme, dans l’unité. Nous menons une politique très détaillée, chaque étape est minutieusement pensée. » À l’issue du Conseil des ministres du 7 janvier 2025, il réitérait sa détermination en déclarant : « Atteindre notre objectif d’une Turquie sans terrorisme est l’une de nos principales priorités dans un avenir proche. Bien sûr, nous souhaitons que cela se fasse avec sérénité et tranquillité. Mais si cette voie est bloquée ou sabotée, alors notre État n’hésitera pas à utiliser le poing de fer dissimulé sous le gant de velours. »

Au retour de sa visite en Italie, répondant aux questions des journalistes sur le sujet, Erdoğan a déclaré :

« Ces travaux sont menés par notre Organisation nationale du renseignement (MIT), sous la direction de M. İbrahim Kalın. En tant qu’Alliance Populaire, nous avons affiché une volonté forte et déterminée pour éliminer totalement le terrorisme et ouvrir les portes d’une nouvelle ère. L’organisation terroriste doit désormais comprendre qu’elle est dans une impasse, et répondre à l’appel qui lui est lancé.

Notre plus grande motivation dans ce processus est de laisser à nos enfants un pays sans terrorisme. Nous restons fermes dans notre motivation. Nous œuvrons pour une Turquie où la politique civile se renforce, où la paix s’enracine, et où nos ressources seront consacrées à l’avenir, à la technologie et au développement. Amis comme ennemis verront qu’il n’y a plus de place pour la division en Turquie, et ils comprendront qu’aucun canon ne pourra briser la poitrine unie de notre peuple. Je l’ai déjà dit : une Turquie sans terrorisme n’est pas un processus de marchandage, c’est un climat de fraternité. C’est le rêve de notre peuple depuis des décennies. »

L’une des déclarations concrètes du Président de la République sur ce sujet a été prononcée lors de sa rencontre avec les députés, le 8 mai. Les propos d’Erdoğan relayés par les médias étaient les suivants : « Nous avons surmonté tous les obstacles. Nous attendons bientôt des nouvelles positives concernant l’abandon des armes par le PKK et la dissolution de l’organisation. Ensuite, un nouveau processus, une nouvelle période commencera pour nous tous. » Lors du même discours, il a également déclaré : « La politique aura un rôle majeur à jouer. Nous devons gérer ce processus correctement. Certains chercheront peut-être à en tirer un profit politique. Soyez prêts à cela. Ce ne sera pas un processus facile, mais j’ai confiance en vous sur ce point. »

Ce dernier discours est important à plusieurs égards. Premièrement, il souligne que dans ce nouveau processus, chacun portera une part de responsabilité. Deuxièmement, il attire l’attention sur le rôle déterminant que jouera la politique dans la période à venir. Troisièmement, il met l’accent sur l’importance d’une gestion correcte du processus, tout en lançant un avertissement. En résumé, il souligne que les députés et les ministres auront des responsabilités importantes dans la gestion politique de la nouvelle phase.

Les déclarations de Devlet Bahçeli ont marqué le lancement du processus. La première déclaration fut faite lors de la réunion du groupe parlementaire du MHP, le 5 octobre 2024. Bahçeli avait alors lancé un appel à Abdullah Öcalan, emprisonné à l’île d’İmralı : « Qu’il proclame unilatéralement que le terrorisme est terminé et que son organisation sera dissoute. » En rappelant les paroles d’Öcalan lors de son extradition vers la Turquie en 1999 — « En revenant en Turquie, je servirai mon pays » —, Bahçeli a souligné que le PKK devait déposer les armes et se rendre. Dans une autre déclaration, il a même proposé qu’Öcalan puisse s’exprimer lors d’une réunion du groupe parlementaire du parti DEM à la Grande Assemblée nationale de Turquie, si son isolement était levé, pour « proclamer haut et fort la fin totale du terrorisme et la dissolution de l’organisation ». Il a ajouté que, si cette étape était franchie, des réformes législatives pourraient être envisagées dans le cadre du « droit à l’espérance ». Ces déclarations ont permis de porter la question au plus haut niveau et ont créé un terrain favorable à une évolution sereine du processus.

Une autre voix importante dans ce contexte est celle du ministre des Affaires étrangères, Hakan Fidan. En soulignant l’appel d’Abdullah Öcalan, fondateur du PKK, à la dissolution de l’organisation, Fidan a déclaré que « l’organisation devait entendre cet appel et entamer le processus de sa propre dissolution ; que cet appel représentait une opportunité historique, et que le PKK devait la saisir ». Il a également affirmé que « le désarmement du PKK constituerait une opportunité majeure non seulement pour la Turquie, mais aussi pour des pays de la région comme la Syrie, l’Irak et l’Iran, ainsi que pour les peuples qui y vivent ; et que cette démarche contribuerait à la stabilité et à la paix régionales ». Dans une autre déclaration, Fidan a ajouté : « Ce que l’organisation doit comprendre maintenant, c’est que nous — l’Irak, la Syrie, la Turquie — sommes prêts à accepter toutes les positions pacifiques et non armées. Mais tant qu’il existe une menace terroriste armée, personne ne peut y consentir. Ma conviction et mon souhait sont que cela soit accompli, si Dieu le veut. »

En somme, il est important de souligner que le désarmement du PKK et la dissolution de l’organisation seraient des étapes majeures vers la paix et la stabilité, non seulement pour la Turquie, mais pour toute la région. Malgré ces déclarations, il reste essentiel de répondre à la question : « Existe-t-il une forme de résistance ? »

Y atil une « résistance » ?

Il ne peut y avoir d’opposition ou de résistance, au sein du parti, du Conseil des ministres ou de la bureaucratie, à un processus aussi clairement soutenu par le Président de la République, chef de l’État. Toutefois, certaines évaluations évoquent des attitudes qualifiées de « traînage de pieds ». Il ne faut pas oublier que traîner les pieds ou manifester une résistance ont le même effet : saboter le processus. Personne n’a le droit de faire cela. C’est pourquoi il est essentiel de suivre le processus avec une grande sensibilité et de répondre aux exigences requises. Adopter une attitude timorée en se référant au passé n’est pas juste. Il est impératif de comprendre qu’il existe une nette différence entre tomber dans la même logique que ceux qui ont saboté par le passé les initiatives de résolution en alimentant des peurs fabriquées, et suivre la voie tracée par le Président.

En particulier, la mission qui incombe à la bureaucratie sécuritaire et judiciaire est de devenir une partie active du processus défini par le gouvernement. Il faut éviter les discours et attitudes susceptibles d’avoir un effet perturbateur.

Deux autres points méritent également d’être soulignés. Le premier est que le projet en cours est celui de l’alliance politique formée après 2016. Il convient donc d’observer les conséquences potentielles des oppositions à ce projet. Le second est la nécessité de suivre de près la position des acteurs internationaux dans ce processus. Par le passé, certains États étrangers ont directement ou indirectement interagi avec l’organisation, entravant ainsi le processus. Dans la nouvelle période, les mesures diplomatiques à prendre seront d’une importance cruciale pour la pérennité de la solution.

Il est bien connu que la résolution des problèmes internes du pays est parfois stigmatisée par des termes tels que « trahison », « faiblesse » ou « piège ». Pourtant, gouverner un pays signifie persévérer dans les actions bénéfiques au peuple. Ce seuil psychologique devient problématique lorsqu’il affecte les décideurs plutôt que l’opinion publique. Nous savons tous très bien que des processus tels que l’abandon des armes ou l’auto-dissolution d’une organisation ne peuvent avancer sans aucun risque. C’est pourquoi ce qui importe, et ce qui demande du courage, c’est d’initier le processus, de le poursuivre, et de préserver la détermination malgré toutes les résistances possibles.

Que Dit la Société ?

La grande majorité de la société souhaite désormais la paix, et non plus les affrontements. Les enquêtes d’opinion montrent qu’une majorité écrasante de la population soutient le désarmement du PKK et la résolution de cette question sans recours à la violence. Par exemple, selon l’enquête d’avril réalisée par PonoramaTR, 51 % des personnes interrogées soutiennent le processus de désarmement du PKK, tandis que 37 % déclarent ne pas le soutenir. L’introduction simultanée de mesures de démocratisation, de paix sociale et de développement économique avec le désarmement pourrait considérablement accroître le soutien populaire. C’est pourquoi, même si une approche centrée uniquement sur le désarmement peut produire des succès à court terme, une transformation démocratique est indispensable pour des résultats à long terme. Il est crucial de créer une base qui bénéficiera d’un large soutien sociétal.

D’un autre côté, la position des partis d’opposition reste floue. Au sein du CHP, les réflexes nationalistes qui refont parfois surface empêchent l’émergence d’un discours courageux et d’une position politique déterminée en faveur de la résolution. Il serait donc utile que la société civile et les citoyens prennent l’initiative afin de faire émerger une opposition qui soutienne les demandes de solution et y contribue.

L’affrontement pour une Solution

Aujourd’hui, le projet « Une Turquie sans terrorisme » oblige en réalité la Turquie à affronter ses propres lignes de faille internes. Ce problème ne concerne pas seulement les structures armées dans les montagnes, mais aussi les peurs politiques en milieu urbain, les divisions internes dans les partis et les comptes non réglés du passé. Oser une solution, c’est aussi surmonter les peurs. « Une Turquie sans terrorisme » ne signifie pas uniquement le désarmement du PKK, mais aussi la démocratisation du pays, la reconstruction de la société sur la base de la paix, et l’émergence d’un nouveau langage politique fondé sur des démarches courageuses. Le concept d’affrontement revient souvent dans les discussions sur la résolution. Notre premier affrontement doit être contre les peurs fabriquées et imposées. Il faut identifier les points de résistance qui se nourrissent de ces peurs et s’y opposer.

Malgré toutes les évaluations négatives, la lecture des déclarations du Président Erdoğan et de Devlet Bahçeli renforce notre espoir en l’avenir. Car ceux qui veulent le désarmement du PKK savent parfaitement ce qu’ils veulent. À l’agenda de ces dirigeants figurent la démocratisation du pays, la fin des effets néfastes du terrorisme, l’élimination des « zones grises » créées sous couvert de lutte antiterroriste, la responsabilité, la citoyenneté égalitaire, la paix régionale, le développement économique, et bien d’autres sujets encore. Alors, qu’y a-t-il à l’agenda de ceux qui s’opposent au désarmement du PKK ? Que veulent-ils exactement ? Il n’existe aucun motif concret à cette opposition. C’est pourquoi il est important de souligner cette différence. Oui, notre rôle est de soutenir les dirigeants qui prennent des décisions aussi significatives pour l’avenir du pays, et de les appuyer. Il faut choisir non pas la peur, mais le courage et l’avenir de notre pays.

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