Une guerre entre Israël et la Turquie pourrait-elle éclater ?

À en juger par les récentes déclarations des responsables israéliens et des médias du pays, ainsi que par les attaques menées en territoire syrien, Israël semble désormais avoir la Turquie dans son viseur. En Turquie, ces actes sont perçus comme hostiles, notamment les frappes visant les potentielles bases militaires prévues dans le cadre d’un accord de coopération défensive entre la Turquie et la Syrie. Dès lors, la question de savoir quelle sera la réaction de la Turquie face à cette agressivité suscite un vif intérêt.

Les déclarations récentes des responsables israéliens et des médias du pays, ainsi que les attaques menées en territoire syrien, laissent penser qu’Israël a désormais placé la Turquie parmi ses cibles.

Les frappes contre les potentielles bases militaires prévues dans les accords de coopération en matière de défense que la Turquie envisage de conclure avec la Syrie sont perçues en Turquie comme un acte ouvertement hostile. Par conséquent, une question reste en suspens : quelle sera la réaction de la Turquie face à cette agression ?

 

QUE VEUT FAIRE ISRAËL ?

Depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, une réalité est devenue évidente aux yeux de tous : Israël agit non pas selon une logique de realpolitik, mais selon une logique théopolitique. Cela signifie qu’il cherche à concrétiser le rêve du Grand Israël et à mettre en œuvre le plan de l’Arzé Mev’oud (la Terre promise). À ce sujet, il a d’ailleurs trouvé des alliés au sein des cercles qui lui sont favorables aux États-Unis.

En conséquence de cette orientation théopolitique, nous avons affirmé qu’Israël chercherait à élargir son territoire en occupant les terres des pays de la région. Il a déjà occupé Gaza, une partie de la Cisjordanie, et des territoires libanais. Après la révolution syrienne, il a intensifié son occupation des terres syriennes. Et il ne s’arrêtera pas là.

Il a menacé la Jordanie, l’Égypte et l’Arabie saoudite, essayant de leur faire accepter le projet d’expulsion des Palestiniens.

L’objectif fondamental de toutes ces actions repose sur une thèse simple : celle des « pays de la région instables ». Israël ne souhaite en aucun cas que les pays voisins soient forts, stables ou dotés d’une économie fonctionnelle.

En bombardant continuellement la Syrie, il détruit son infrastructure militaire et empêche toute tentative de reconstruction. Les bases militaires que la Turquie prévoit d’installer en Syrie, les aides militaires qu’elle envisage de fournir, ainsi que l’éventuelle formation de l’armée syrienne sont perçues par Israël comme une menace directe.

Aujourd’hui, Israël semble prêt à tout pour empêcher la présence militaire turque en territoire syrien.

UNE RÉPONSE À ISRAËL PAR LA DIPLOMATIE ET VIA LES ÉTATS-UNIS

La Turquie a perçu les attitudes agressives et les déclarations d’Israël comme des actes ouvertement hostiles à son égard. Ankara s’attendait à des signes d’irritation de la part d’Israël, mais probablement pas à une attaque directe contre la base militaire T4, ni à des déclarations aussi virulentes. Cela dit, on peut affirmer qu’une grande colère a émergé, tant dans l’opinion publique qu’au sein des sphères étatiques.

La première réponse de la Turquie est venue par l’intermédiaire du ministre des Affaires étrangères, Hakan Fidan. Dans une interview accordée à Reuters, Fidan a déclaré que la Turquie ne souhaitait pas une confrontation avec Israël en Syrie :

« L’attitude d’Israël ne déstabilise pas seulement la Syrie, mais l’ensemble de la région… »

Lors de sa rencontre aux États-Unis avec le secrétaire d’État américain Rubio, Hakan Fidan a évoqué l’agressivité israélienne en Syrie et a clairement exprimé le mécontentement de la Turquie face à cette situation.

Ces déclarations diplomatiques et ces initiatives peuvent être interprétées comme des efforts de la Turquie pour faire baisser la tension. Ankara estime qu’un affrontement avec Israël dans un contexte où le nouveau gouvernement de Damas ne s’est pas encore renforcé militairement, économiquement, en matière d’infrastructure et d’institutions, ne ferait qu’aggraver la situation en Syrie.

Une réponse militaire directe à Israël de la part de la Turquie pourrait entraîner l’implication des États-Unis et mener à un conflit de grande ampleur. C’est pourquoi la Turquie cherche, pour l’instant, à éviter cette voie. Elle tente actuellement de résoudre cette crise par l’intermédiaire des États-Unis. Pour l’instant, les relations de la Turquie avec l’administration Trump sont bonnes. Mais en raison de la crise économique mondiale que les États-Unis contribuent à alimenter, il est encore incertain de savoir comment ce sujet sera abordé et quelles mesures seront prises.

EN RÉALITÉ, ISRAËL N’EST PAS EN POSITION DE FORCE

Israël ne peut en réalité rien faire sans le soutien des États-Unis. La puissance militaire de la Turquie est de loin supérieure à celle d’Israël.

L’occupation, les conflits, la guerre et l’attitude agressive qu’Israël poursuit ont un coût économique colossal.

L’économie israélienne s’est contractée de 25 % au cours de la dernière année. Le coût estimé de la guerre pour Israël s’élèverait à 400 milliards de dollars. L’ampleur de l’aide américaine à Israël n’est pas complètement connue, car une partie est fournie de manière discrète. Toutefois, rien qu’en 2024, 20 milliards de dollars d’armement ont été livrés.

Dans un contexte où l’économie mondiale est en plein bouleversement, il semble peu probable qu’Israël puisse continuer à mener une guerre aussi coûteuse. À un moment donné, les États-Unis diront « stop ».

Par ailleurs, avec une population réduite et des forces humaines et militaires limitées, il est difficile pour Israël de mener une guerre sur quatre fronts, de maintenir la discipline au sein de son armée, et d’obtenir un soutien populaire durable. Les tensions au sein de la bureaucratie sécuritaire et le conflit avec Netanyahu, bien que peu visibles, sont en réalité très graves.

À mesure que la situation économique se détériore et que le peuple souffre davantage, les manifestations déjà en cours vont s’intensifier et, d’une manière ou d’une autre, Netanyahu finira par être écarté du pouvoir.

L’EUROPE PRENDRA SES DISTANCES AVEC ISRAËL

Engagée dans une guerre commerciale majeure avec les États-Unis, l’Europe se montre plus proche de la position turque que de celle d’Israël en ce qui concerne la politique syrienne, comme en témoignent plusieurs déclarations. L’hostilité croissante envers les États-Unis va inévitablement se retourner contre Israël, déjà impopulaire. L’Union européenne, désireuse de faire payer aux États-Unis le prix de sa propre crise économique et politique, pourrait réagir face aux politiques agressives d’Israël. Par exemple, la France et la Turquie pourraient coopérer en Syrie.

Des démarches similaires pourraient également venir de l’Espagne, de l’Italie et du Royaume-Uni.

En raison de la crise économique et de la détérioration des relations, l’Europe pourrait bientôt entreprendre des actions contraires aux politiques américaines et israéliennes.

NETANYAHOU N’A PAS OBTENU CE QU’IL VOULAIT DE TRUMP

Bien que la question syrienne soit prioritaire dans les opinions publiques au Moyen-Orient, en Israël et en Turquie, ce n’est pas le cas aux États-Unis. Le dossier syrien n’est pas encore sur la table de Trump. Pour changer cela, Netanyahu s’est récemment rendu aux États-Unis afin de porter cette question à l’attention de Trump, lui demandant de l’aide pour limiter l’influence de la Turquie en Syrie.

Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu. Trump s’est montré froid et distant à l’égard de Netanyahu. Il a donné des réponses peu satisfaisantes à la demande de Netanyahu de faire une déclaration en soutien à Israël sur la Syrie.

« J’ai un grand ami, il s’appelle Erdoğan. Je l’aime bien et il m’aime aussi. Il n’y a jamais eu de problème entre nous. Nous avons vécu beaucoup de choses ensemble. Netanyahu, si tu as un problème avec la Turquie, je pense pouvoir le résoudre. J’espère qu’il n’y aura pas de problème. Mais si jamais il y en a, je peux les régler. Mais tu dois être raisonnable. »

Ces propos de Trump ont fortement contrarié Netanyahu. Cependant, l’injonction à être « raisonnable » constitue un avertissement important. Car les demandes incessantes d’Israël et de Netanyahu commencent manifestement à l’agacer.

LA TURQUIE VA MODIFIER SES RÈGLES D’ENGAGEMENT

Il est évident que l’économie, la diplomatie et la communication, à elles seules, ne suffiront pas à freiner l’attitude agressive d’Israël en Syrie ni son hostilité envers la Turquie. Dans ce contexte, il est probable que la Turquie revoie ses règles d’engagement concernant sa présence militaire au-delà de ses frontières.

Par exemple, lorsqu’une attaque terroriste vise sa présence militaire en Irak, la Turquie y répond immédiatement. Mais qu’en est-il d’une attaque menée par un État ? Que se passera-t-il si Israël attaque les bases militaires turques ou sa présence militaire en Syrie ? Et quelle sera la réaction de l’OTAN dans un tel scénario ?

C’est précisément ce qui rend indispensable la redéfinition de ces nouvelles règles d’engagement.

Actuellement, les milieux militaires, diplomatiques et politiques turcs débattent de cette question. Je ne sais pas encore quelle décision sera prise, mais une chose est sûre : la Turquie n’est pas dans un état d’esprit à reculer.

https://www.aljazeera.net/opinions/2025/4/8/هل-تندلع-حرب-بين-إسرائيل-وتركيا