Trump 2.0 : L’Esprit du Temps Invoque le Léviathan

La deuxième ère Trump aux États-Unis ne représente pas seulement un changement de présidence, mais reflète une transformation profonde de la politique mondiale. Les instabilités globales ont renforcé l’intérêt des sociétés pour des leaders forts et charismatiques, une tendance consolidée par l’approche populiste et autoritaire de Trump. Ce processus réactualise l’idée d’une autorité centrale forte, telle que conceptualisée par Hobbes dans Le Léviathan.
février 8, 2025
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La deuxième ère Trump aux États-Unis ne représente pas seulement un changement de présidence, mais reflète une transformation profonde de la politique mondiale. Les instabilités globales ont renforcé l’intérêt des sociétés pour des leaders forts et charismatiques, une tendance consolidée par l’approche populiste et autoritaire de Trump. Ce processus réactualise l’idée d’une autorité centrale forte, telle que conceptualisée par Hobbes dans Le Léviathan.

Le début du deuxième mandat de Trump aux États-Unis ne se limite pas à un simple changement de président ; il revêt une signification profonde dans la politique internationale. La principale raison qui soutient cette vision réside dans les promesses faites par Trump lors de sa campagne électorale et dans les décrets présidentiels qu’il a signés dès son arrivée au pouvoir. Avec l’administration Trump, nous nous trouvons à l’aube d’une transformation radicale dont certains signes étaient déjà perceptibles dans la politique internationale depuis un certain temps.
Le paramètre fondamental de cette transformation est la mise en avant d’une figure de leader fort et charismatique, capable de prendre seul des décisions et d’exercer son initiative, en ignorant les mécanismes de consensus et de concertation tant au niveau national qu’international. La gouvernance de Trump illustre un modèle où le dirigeant intervient directement, reléguant les règles diplomatiques traditionnelles au second plan. Cette situation engendre un changement de paradigme qui ébranle les structures et mécanismes habituels des relations nationales et internationales.

L’argument central de cet article est que la deuxième ère Trump aux États-Unis est le produit du chaos et de l’instabilité qui se sont récemment manifestés sur la scène nationale et internationale. Dans un contexte de chaos, les masses, en quête de stabilité, ont tendance à accorder des pouvoirs illimités aux leaders forts et charismatiques. Ce phénomène favorise l’émergence de figures dirigeantes capables de prendre des décisions de manière unilatérale et d’exercer pleinement leur initiative, en ignorant les processus de consensus et de négociation.
C’est cette même dynamique qui a porté au pouvoir Xi Jinping en Chine, Vladimir Poutine en Russie, Mohammed ben Salmane en Arabie Saoudite et Recep Tayyip Erdoğan en Turquie. Le facteur clé qui renforce leur domination politique est le désir des masses d’échapper au chaos et de retrouver la stabilité. L’attrait des masses pour des leaders forts sera analysé à travers la théorie du Léviathan de Thomas Hobbes, philosophe politique du XVIIe siècle. Par conséquent, cet article défend également l’idée que les systèmes politiques dépourvus de figures dirigeantes capables d’imposer leur volonté et de dominer les processus décisionnels risquent de sombrer dans une profonde vulnérabilité.

Le Chaos et l’Ordre dans la Philosophie de Hobbes, « Fils de la Peur »
La vie de Thomas Hobbes, ses expériences personnelles et les bouleversements de son époque ont façonné sa vision pessimiste du monde, qui constitue le fondement de sa théorie politique. En particulier, la célèbre Armada invincible envoyée par l’Espagne vers l’Angleterre en 1588 a provoqué un climat de peur qui a conduit la mère de Hobbes à accoucher prématurément. Hobbes lui-même raconte cette anecdote en affirmant : « La peur et moi sommes nés jumeaux. » Le philosophe a ainsi hérité du surnom de « fils de la peur », non seulement en raison de son histoire personnelle, mais aussi en raison de sa vision pessimiste de la nature humaine et du politique.

Hobbes a été profondément marqué par le désordre social, l’instabilité politique et les guerres civiles qui ont ravagé son époque. L’Angleterre était alors secouée par des tensions entre ceux qui revendiquaient une liberté excessive et ceux qui prônaient une autorité absolue. Dans ce contexte, Hobbes a observé que les dirigeants avides, mus par leurs ambitions personnelles plutôt que par l’intérêt du peuple, manipulaient la colère et la jalousie des masses pour mener le pays au désastre.

Ce pessimisme constitue le socle de sa philosophie politique. Selon Hobbes, les êtres humains sont par nature égoïstes, compétitifs et habités par la peur. Cet état de fait plonge les sociétés dans un climat de chaos et d’insécurité. Ainsi, pour garantir leur sécurité et leur bien-être, les individus doivent se soumettre à une autorité suprême, incarnée par le Léviathan. Dans son ouvrage Le Léviathan, écrit en pleine période de troubles politiques et sociaux, Hobbes défend l’idée d’un pouvoir central fort, reflet de ses propres expériences de vie et des crises politiques de son époque.

Selon Hobbes, le plus grand désir de l’humanité est d’établir la paix et l’ordre. C’est pourquoi il a cherché des solutions pour restaurer la stabilité de la société et a conclu que l’octroi de pouvoirs illimités à l’autorité était la seule voie possible. Pour Hobbes, la liberté mène inévitablement à l’anarchie, et la stabilité politique ne peut être obtenue qu’en privilégiant l’obéissance à la liberté. Seul un peuple soumis peut atteindre une paix et une sécurité véritables. Cette paix et cette sécurité doivent être garanties par une autorité absolue. Cette autorité doit être unique, car une multiplicité d’autorités empêcherait l’établissement d’un pouvoir absolu.

Par sa vision pessimiste de la politique, Hobbes dresse un tableau sombre de la nature humaine et du besoin de structure des sociétés. Son analyse demeure une référence essentielle dans la théorie politique moderne. Il considère que, dans leur état naturel, les individus vivent dans un climat de conflit et d’insécurité permanent. Pour échapper à cette condition, ils doivent renoncer à leurs libertés et transférer l’ensemble de leurs pouvoirs à une autorité forte, le Léviathan.

Des espoirs idéalistes à la réalité autoritaire : L’évolution de la politique mondiale

La fin de la Guerre froide avait suscité l’espoir d’une diminution des tensions géopolitiques et militaires, ainsi que l’émergence d’un climat de paix durable. Durant cette période, la victoire de la démocratie libérale renforça les attentes d’une ère idéalisée dans la politique mondiale. Dans un monde où la compétition entre grandes puissances semblait terminée, on espérait une diminution des conflits et un renforcement de la coopération internationale. Cependant, ces espoirs ne furent qu’un optimisme déconnecté des dynamiques du monde réel, et l’évolution du contexte international a suivi une trajectoire inverse.

Avec la fin de la Guerre froide, la victoire de la démocratie libérale, illustrée par la thèse de Francis Fukuyama sur la « fin de l’Histoire », avait nourri l’idée d’un nouvel âge de l’idéalisme. Pourtant, cette attente s’est transformée, dès les années 1990, en une profonde désillusion face aux multiples crises mondiales. La mondialisation a engendré des inégalités économiques croissantes, des crises migratoires, des conflits régionaux, de nouvelles menaces sécuritaires et le défi du changement climatique, dessinant un tableau bien différent de celui espéré.

Les crises économiques ont exacerbé le mécontentement social et rendu les inégalités de répartition des richesses encore plus visibles. La crise financière mondiale de 2008 a révélé les fragilités des politiques économiques néolibérales, favorisant ainsi une montée des tensions sociales et une adhésion croissante aux leaders populistes. Dans ce contexte, de nombreuses sociétés, en quête de stabilité et cherchant à fuir l’incertitude, se sont tournées vers des figures de dirigeants forts.

La pandémie de COVID-19 a introduit une incertitude sans précédent dans la politique et l’économie mondiales. Les récessions économiques qu’elle a provoquées, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et les faiblesses des systèmes de santé publique ont alimenté une vague d’insécurité à l’échelle mondiale. Dans cette période chaotique, la quête de solutions rapides a conduit de nombreux peuples à favoriser des dirigeants autoritaires et populistes, accélérant ainsi la montée de l’autoritarisme dans de nombreux pays.

Alors que l’on pensait que la fin de la Guerre froide marquait la fin de la compétition entre grandes puissances, cette rivalité a ressurgi sous une forme différente au XXIe siècle. La montée en puissance de la Chine, l’agressivité croissante de la politique étrangère russe et les réactions de l’Occident ont ravivé les tensions internationales. Cette nouvelle configuration est parfois qualifiée de « Seconde Guerre froide ». La guerre en Ukraine, la montée des tensions dans le détroit de Taïwan et les dynamiques géopolitiques en Asie-Pacifique montrent que cette rivalité pourrait dégénérer en nouveaux conflits. Ces tensions poussent les sociétés à rechercher davantage de sécurité et de stabilité, souvent à travers des dirigeants plus autoritaires.

Le discours populiste et les tendances autoritaires incarnées par Donald Trump reflètent cette quête de leadership fort dans une période d’incertitude mondiale. En promettant ordre et stabilité, Trump est devenu une figure influente non seulement dans la politique intérieure des États-Unis, mais aussi à l’échelle internationale. Cette dynamique prouve que même les États-Unis ne sont pas immunisés contre la montée du populisme et de l’autoritarisme.

Les attentes idéalistes qui ont suivi la fin de la Guerre froide ont ainsi cédé la place à une montée de l’autoritarisme et à une recherche de leadership fort, nourries par les crises économiques, sociales et politiques mondiales. Un second mandat de Trump pourrait en être l’exemple le plus frappant en Occident. Ce phénomène n’affecte pas uniquement les États-Unis, mais annonce une nouvelle ère politique mondiale dominée par la quête de dirigeants forts.

Cette perspective, analysée à travers la théorie du Léviathan de Thomas Hobbes, révèle une continuité historique dans la tendance des sociétés modernes à rechercher une autorité forte. La vision pessimiste de Hobbes sur la nature humaine suggère que, par essence, les individus vivent dans un état de compétition et d’insécurité permanent. Pour surmonter ce chaos et garantir leur sécurité, ils acceptent de céder une partie de leurs libertés à une autorité centrale. Aujourd’hui, cette autorité se matérialise souvent à travers des leaders forts et charismatiques.

L’Esprit du Temps : La montée du leadership autoritaire et la crise de la démocratie pluraliste

Cette dynamique entraîne deux conséquences majeures : premièrement, les pays dépourvus de leaders forts risquent de s’affaiblir progressivement et de perdre leur influence sur la scène internationale. Deuxièmement, dans un monde où les tendances autoritaires gagnent du terrain, un retour à la démocratie pluraliste devient de plus en plus improbable.

Tout d’abord, l’ascension des figures autoritaires dans les sphères nationale et internationale, que l’on peut qualifier d’« esprit du temps », aura pour effet d’affaiblir les systèmes politiques manquant de leaders charismatiques, entraînant une perte progressive de leur influence. Cette dynamique représente aujourd’hui une menace significative pour les pays européens. En particulier, l’après-Merkel a laissé un vide de leadership en Europe, rendant plus difficile l’adaptation aux tendances globales actuelles.

Le rôle joué par Angela Merkel en tant que leader charismatique garantissant la stabilité de l’Europe s’est révélé encore plus essentiel après son départ, face à l’incapacité de trouver une figure capable de la remplacer. Ce vide de leadership a ralenti les processus décisionnels politiques et économiques de l’Europe, affaiblissant ses capacités de coordination. La perception selon laquelle le leadership doit désormais être charismatique et autoritaire s’est accrue, accentuant encore davantage ce sentiment de manque.

Si cette situation persiste, l’influence de l’Europe sur la politique mondiale pourrait considérablement décliner. L’absence d’un leadership fort rend les pays européens moins efficaces, tant sur le plan interne qu’international. En effet, dans une période marquée par une concurrence internationale accrue et une atmosphère politique dominée par des dirigeants puissants et des régimes autoritaires, les valeurs et les mécanismes décisionnels de l’Europe peinent à trouver une position suffisamment forte dans l’équilibre des puissances mondiales.

Deuxièmement, les tendances autoritaires, alimentées par la quête de stabilité et d’ordre des sociétés, rendent le retour à la démocratie pluraliste de plus en plus difficile. Après la Guerre froide, le pluralisme, le libéralisme et les processus décisionnels basés sur le consensus avaient pris une place centrale aux niveaux national et international. Dans les questions critiques, il était attendu que les décisions ne reposent pas uniquement sur un leader, mais qu’elles impliquent des conseils, des commissions, des parlements, des organisations de la société civile, des groupes de pression, des intellectuels, des médias, et même des minorités. Cette approche laissait espérer que la prise de décision serait collective et inclusive.

Cependant, l’instabilité économique, politique et sociale mondiale de ces dernières années a mis en lumière une nouvelle réalité, en opposition aux attentes idéalistes du passé. Cette nouvelle réalité se traduit par une centralisation accrue des décisions, l’exclusion du consensus et une préférence croissante pour des figures de leaders capables de prendre des initiatives fortes. Les pandémies, les crises économiques, les conflits régionaux et les menaces sécuritaires mondiales ont révélé la lenteur et la complexité des mécanismes décisionnels collectifs, ouvrant la voie à des dirigeants capables de prendre des décisions rapides et définitives.

Cette situation compromet gravement les espoirs de démocratie pluraliste qui avaient émergé après la fin de la Guerre froide. La recherche de stabilité et de sécurité par les sociétés rend un retour au pluralisme encore plus improbable. Dans ce contexte, l’orientation vers des modèles de gouvernance autoritaires offre certes des solutions à court terme, mais elle accélère également l’érosion des valeurs démocratiques et complique la réémergence d’une politique pluraliste à long terme.

Aux États-Unis, un second mandat de Trump ne représente pas seulement un simple changement de président, mais incarne une transformation profonde de la politique mondiale. L’instabilité globale a renforcé l’attrait des sociétés pour des leaders forts et charismatiques, une tendance qui s’est encore accentuée avec l’approche populiste et autoritaire de Trump. Ce processus réactualise la vision de l’autorité centrale puissante telle que développée par Hobbes dans Léviathan. Les sociétés, cherchant à échapper au chaos et à l’incertitude, sont prêtes à renoncer à une partie de leurs libertés en faveur de dirigeants forts. Cependant, ces tendances autoritaires risquent, à long terme, d’affaiblir les valeurs démocratiques et d’éroder la politique pluraliste. Par ailleurs, les lacunes en matière de leadership en Europe compliquent encore davantage la capacité du continent à s’imposer dans les affaires mondiales. En somme, à mesure que les sociétés se tournent vers des leaders puissants, l’autoritarisme progresse et le retour à la démocratie pluraliste devient de plus en plus difficile.

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