Le Sionisme Kurde : Le Piège Kurde d’Israël
La politique la plus essentielle pour l’émergence des Kurdes sur la scène historique est de renverser l’invasion corrompue de l’impérialisme dans la région, qui utilise les Juifs comme bélier. Tout comme Saladin a détruit l’invasion croisée, tout comme Idris-i Bitlisi a mis fin à l’occupation perse par l’unité. En ce sens, dans des pays comme la Turquie, l’Irak et la Syrie, toute politique fondée sur les crimes et les péchés des régimes intermédiaires qui ont fait souffrir des musulmans de toutes origines ethniques est stérile et incomplète. Le destin des Kurdes au XXIe siècle, comme dans les siècles précédents, est de marcher aux côtés de la nation islamique.
Depuis sa création, Israël suit une Doctrine du Périphérique. Selon cette doctrine, un Israël isolé et encerclé par l’immense monde arabe sunnite manque d’une profondeur stratégique pouvant être défendue militairement. La seule manière d’éliminer cette menace existentielle est soit de signer la « paix » avec tous ses voisins, soit de provoquer l’éclatement et l’affaiblissement de ces États. La première option semble irréalisable à moyen et long terme en raison de la politique expansionniste et d’occupation d’Israël, fondée sur les mythes de la Torah. En revanche, la seconde option constitue un ensemble de politiques applicables à moyen et long terme et demeure sur la table d’Israël.
Conçue sous forme de cercles proches et lointains, la doctrine s’appuie en premier lieu sur les minorités non musulmanes à proximité, les minorités musulmanes non arabes et les États non arabes situés en profondeur des États arabes voisins. Dans cette logique, des pays comme l’Éthiopie, l’Iran, le Soudan, la Turquie, et même le Maroc ont été considérés par Israël comme des acteurs offrant une profondeur stratégique permettant de briser son isolement. Par le passé, ces États ont entretenu des relations approfondies avec Israël. Cependant, à partir des années 1970, certains bouleversements géopolitiques ont révélé la fragilité de ces cercles lointains. La chute du régime du Shah en Iran, le renversement de Haïlé Sélassié en Éthiopie, le changement de position de l’Égypte avec Anouar el-Sadate signant la paix avec Israël, les évolutions au Soudan et l’orientation politique fluctuante de la Turquie ont entraîné des transformations majeures dans cette stratégie. Dans l’équation régionale, la seule stabilité relative a été assurée par l’alliance discrète avec la Jordanie. Toutefois, la démographie jordanienne à majorité palestinienne, la faiblesse des capacités de l’État jordanien, ainsi que les développements qui ont suivi l’opération Déluge d’Al-Aqsa du 7 octobre, ont suscité de sérieux doutes quant à l’avenir de cette relation.
Dans cet océan musulman immense, les minorités ethniques ou religieuses convaincues que leur identité est menacée ont également été intégrées comme cercles stratégiques proches de la doctrine israélienne. Les chrétiens maronites, les Druzes, ainsi que les Kurdes d’Irak et de Syrie font partie de ces groupes.
Les Druzes et les Maronites, situés dans la périphérie immédiate d’Israël, sont deux dossiers qui ont fait l’objet d’un grand investissement. La guerre civile libanaise, qui a éclaté en 1975 et causé plus de 230 000 morts ainsi que l’effondrement quasi-total de l’État libanais, trouve en arrière-plan une tentative israélienne d’établir un État maronite. Après l’échec de ce projet, les rapports du Mossad ont reconnu une surestimation des capacités des Maronites. Une situation similaire s’est produite avec les Druzes. À l’intérieur d’Israël, trois tribus druzes ont été intégrées dans l’armée israélienne à travers le mythe de la « fraternité de sang », en instrumentalisant leurs rivalités internes. Cependant, le soutien escompté des Druzes du Liban et de la Syrie n’a jamais été obtenu. Par conséquent, ni la minorité maronite ni la minorité druze n’ont pu fournir la profondeur stratégique souhaitée par Israël.
Les Kurdes de Syrie et d’Irak ont également été évalués comme un groupe minoritaire appartenant au cercle proche. Contrairement aux Maronites et aux Druzes, qui vivent isolés du monde musulman, les Kurdes, bien que soumis à des pressions, dénis et assimilations dans les États où ils résident, ne sont pas des minorités périphériques. Sunnites et musulmans, les Kurdes ont joué un rôle central dans la formation du monde islamique, en y contribuant activement. En raison de cette particularité sociologique, les relations entre Israël et les organisations kurdes sont restées largement limitées au monde caché des services de renseignement, et personne n’a osé exposer ces liens publiquement.
Israël compte une importante population juive originaire d’Irak, dont une part significative vient de la région du Kurdistan irakien. Ce groupe, influent au sein de la société israélienne, occupe des postes clés allant du commandement de l’armée aux ministères, en passant par les médias, le monde universitaire et les affaires. Il joue un rôle déterminant dans les relations entre Israël et les organisations kurdes. Par nature, cette relation se déroule sur un terrain stratégique discret, similaire à celle entre Israël et la Jordanie. Grâce à l’influence des lobbies juifs, les États-Unis ont également investi massivement dans les YPG/PYD, qui apparaissent comme un projet crucial pour la Doctrine du Périphérique israélienne.
Cependant, les développements survenus en Syrie au cours de l’année écoulée ont contraint Israël et les YPG/PYD à exposer leur relation jusque-là dissimulée, créant ainsi des conditions semblables à une « naissance prématurée ». L’effondrement inattendu, fin 2024, du régime sectaire d’Assad, qui était à la fois l’ennemi « confortable » d’Israël et le suzerain des YPG/PYD, s’est produit au moment même où il était réintégré dans la Ligue arabe et où le monde entrait dans une phase de normalisation sous l’argument du « Assad a gagné ». Ce retournement a forcé Israël et les YPG/PYD à annoncer publiquement leur engagement mutuel et à agir en conséquence.
Après le retrait et la défaite de la Russie et de l’Iran en Syrie, Israël a détruit l’infrastructure de défense syrienne avec l’une des campagnes de frappes aériennes les plus vastes de son histoire. L’objectif était de préparer un terrain où les YPG/PYD pourraient obtenir un rôle influent dans la gouvernance syrienne. Toutefois, les mesures prises par la nouvelle administration syrienne ainsi que par la Turquie, qui a joué un rôle clé dans le processus révolutionnaire et au-delà, ont frustré ces ambitions.
Aujourd’hui, pour la première fois, les responsables du PYD/YPG en Syrie osent revendiquer ouvertement leurs liens avec Israël. Cette dynamique semble également provoquer des débats au sein du PKK, comme en témoignent plusieurs évolutions récentes. L’opposition exprimée par les YPG/PYD à l’ordre d’Abdullah Öcalan, chef du PKK, ordonnant la dissolution de l’organisation et le désarmement de « tous les groupes », semble étroitement liée à la doctrine du périphérique israélienne.
Historiquement, il existe une hostilité idéologique entre le PKK et Israël, exacerbée par le rôle critique du Mossad dans l’arrestation d’Öcalan. Le souvenir de l’attaque du 5 juin 1982 contre le château d’Arnon au Liban, où Israël a tué 11 combattants du PKK, reste gravé dans la mémoire de l’organisation. De plus, dans ses plaidoiries, Öcalan désigne fréquemment Israël comme le principal instigateur du « complot » ayant conduit à sa capture. Ainsi, malgré la mise en avant du mythe du PKK et d’Öcalan dans leur communication officielle, les YPG/PYD semblent aujourd’hui se détourner ouvertement de cet héritage en raison de leur relation avec Israël. Cette situation révèle la tentative d’Israël, incapable d’infiltrer profondément la société kurde, d’exploiter le vide de pouvoir en Syrie et ses ressources naturelles pour créer un acteur kurde utile à ses intérêts.
Néanmoins, après avoir échoué à mobiliser les Maronites et les Druzes, Israël connaîtra sans aucun doute une déception similaire avec les Kurdes musulmans. Ses relations, établies dans l’ombre et motivées par des intérêts immédiats, manquent de profondeur sociologique réelle. La nature des liens entre Israël et les groupes kurdes, dont certains sont classés comme organisations terroristes, repose principalement sur des calculs conjoncturels et opportunistes. Tenter d’en faire une relation sociologique ou existentielle est voué à l’échec.
L’idée de créer une société kurde isolée, enrôlée sous la bannière du sionisme et piégée dans un cycle de violence perpétuelle, ne repose sur aucun fondement sociologique. L’histoire a démontré à maintes reprises que fonder des analyses stratégiques sur les fantasmes de quelques intellectuels marginaux affiliés à des instituts israéliens, d’exilés déconnectés de la réalité sociale et de profiteurs exaltés par des opportunités temporaires, conduit à des erreurs de jugement profondes.
Pour certains Kurdes, enflammés par un nationalisme tardif et dérivant progressivement vers le racisme, l’idée fantaisiste d’un « Kurde sioniste » ou d’un « sionisme kurde » peut sembler séduisante. Cependant, même les figures historiques que ces rêveurs admirent tant, comme Saladin (Salah ad-Din al-Ayyubi) ou Idris-i Bitlisi, offrent des exemples clairs de la manière dont le peuple kurde peut véritablement s’imposer sur la scène de l’histoire. L’audace de vouloir associer le destin des Kurdes musulmans à celui de la colonie juive en Palestine, implantée dans la région par l’impérialisme et dont l’avenir est plus qu’incertain, relève d’une absurdité morbide. Cela ne peut aboutir qu’à une honte inévitable et destructrice.
Ceux qui, sous le prétexte de défendre la cause kurde, s’engagent dans l’avant-poste d’un projet sioniste, trahissent avant tout leur propre peuple. L’idée de faire des descendants de Saladin des mercenaires du sionisme et de les enrôler pour défendre un projet colonial va à l’encontre de l’histoire et de la dignité kurde. La colonie sioniste, maintenue artificiellement à flot par des soutiens militaires, économiques et démographiques extérieurs, survit uniquement dans l’angoisse d’un avenir incertain. Dans cette optique, elle cherche désespérément du « sang bon marché », que ce soit chez les Kurdes, les Druzes, les Maronites ou d’autres minorités, et ne pourra survivre que tant qu’elle pourra exploiter ce sang. Mais cette exploitation entraînera ces communautés dans un cycle de violence et de destruction sans fin.
Dans un passé proche, le mandat colonial français en Syrie avait tenté une stratégie similaire, avant d’être rapidement balayé. Pourtant, les descendants de ceux qui avaient soutenu ce mandat paient encore aujourd’hui le prix du chaos qu’il a laissé derrière lui.
La seule voie légitime pour que les Kurdes s’imposent sur la scène de l’histoire est de combattre l’impérialisme, qui utilise les Juifs comme un bélier pour briser et dominer la région. Tout comme Saladin a défait l’invasion croisée et Idris-i Bitlisi a mis fin à l’occupation perse, le peuple kurde doit aujourd’hui rejeter les projets coloniaux et impérialistes qui cherchent à l’instrumentaliser.
Dans ce cadre, toute politique fondée sur les crimes et les fautes des régimes oppressifs en Turquie, en Irak et en Syrie reste limitée et incomplète. Le destin des Kurdes au XXIe siècle, tout comme par le passé, réside dans leur unité avec la nation islamique et non dans un projet isolé, artificiel et voué à l’échec.
Notes :
[1] Kahana, Ephraim & Suawed, Muhammed. Dictionnaire du Renseignement au Moyen-Orient, İyi Düşün Yayınları, Istanbul, 2020, p. 83.
[2] Tezkan, Yılmaz, Une Autre Perspective sur Israël, Ülke Kitapları, Istanbul, 2004, p. 97.
[3] https://www.kurdistan24.net/tr/opinion/426583
[4] Concernant les déclarations du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et du leader des YPG Mazloum Abdi à ce sujet, voir :
https://serbestiyet.com/featured/mazlum-kobaniden-israil-destegine-yesil-isik-israil-bolgede-etkili-bir-guc-memnuniyet-duyariz-198939/, https://m.nerinaazad2.com/tr/news/regions/middleeast/netanyahu-durzilere-ve-kurtlere-elimizi-uzatacagiz-67c84bf7589c9
[6] Öcalan, Abdullah, De l’État des Prêtres Sumériens à la République Populaire : Défense de l’Homme Libre, Mem Yayınları, Istanbul, 2001, vol. II, pp. 229-230.