Le Problème du Mal et les Théodicées

Parmi les nombreux arguments avancés par les athées pour démontrer que Dieu n’existe pas, on peut dire que le plus puissant d’entre eux est le problème du mal. Ce problème, d’une part, possède une profondeur philosophique, et d’autre part, il est formulé de manière à ce que même les personnes ordinaires, dans leur vie quotidienne, puissent facilement le percevoir, ce qui lui confère une large portée. Les arguments des théistes contre le problème du mal sont connus sous le nom de défense de la justice divine, c’est-à-dire la théodicée. Le problème du mal a été exprimé de diverses manières par de nombreux philosophes et théologiens au cours de l’histoire.

Parmi les nombreux arguments avancés par les athées pour démontrer que Dieu n’existe pas, on peut dire que le plus puissant d’entre eux est le problème du mal. Ce problème, d’une part, possède une profondeur philosophique, et d’autre part, il est formulé de manière à ce que même les personnes ordinaires, dans leur vie quotidienne, puissent facilement le percevoir, ce qui lui confère une large portée. Les arguments des théistes contre le problème du mal sont connus sous le nom de défense de la justice divine, c’est-à-dire la théodicée. Le problème du mal a été exprimé de diverses manières par de nombreux philosophes et théologiens au cours de l’histoire. La version la plus célèbre et qui a été formulée pour la première fois par Épicure (270 av. J.-C.), puis par David Hume (1776), sera abordée ici.

La structure du problème est brièvement la suivante :

Dieu veut prévenir le mal, mais sa puissance est-elle insuffisante ? Dans ce cas, il est impuissant. Ou bien, s’il est tout-puissant, mais qu’il ne veut pas prévenir le mal ? Alors il n’est pas bienveillant ou n’est pas absolument bon. Si, à la fois tout-puissant et absolument bon, alors comment peut-on expliquer l’existence d’un tel mal ?

Comme on peut clairement le voir ici, il s’agit d’une contradiction entre un Dieu possédant une puissance absolue, une connaissance, une volonté, de la miséricorde et de la justice, et l’existence du mal. Dans la littérature, ce problème est abordé sous deux grandes catégories. La première concerne les maux moraux, issus de l’égoïsme humain, et la seconde concerne les maux naturels, tels que les tremblements de terre, les inondations, les incendies, etc., qui proviennent directement de la nature.

Le Processus Historique de la Théodicée

Les premières traces du problème du mal se retrouvent dans les mythologies, principalement dans la Grèce antique. Le désir des dieux d’utiliser les hommes à leurs propres fins et, par la suite, leur tentative de détruire les hommes en raison de leur désobéissance, constituent les racines mythologiques de ce problème. La question du péché originel, c’est-à-dire la question soulevée par Nietzsche : « pourquoi Dieu n’a-t-il pas pardonné Adam et pourquoi a-t-il laissé Jésus mourir sur la croix ? », peut être vue comme la version chrétienne de ce problème. L’ouverture du débat sur le problème du mal dans le monde occidental a eu lieu en 1755, après le tremblement de terre dévastateur qui a frappé Lisbonne le jour de la fête des saints. Un tel cataclysme survenu un jour où les églises étaient remplies de fidèles venus prier a soulevé de graves questions de foi. On sait que le roi de Prusse de l’époque a demandé à Leibniz de trouver une solution à ce problème. Il est évident que pour proposer une solution, Leibniz s’est inspiré des idées de Ghazali sur « le meilleur des mondes possibles » (layse fi-limkan ebdea mimma kane). Arthur Schopenhauer, de son côté, a défendu une vision pessimiste en affirmant que ce monde est le pire des mondes possibles. Kant, quant à lui, a soutenu que le problème possède une dimension qui dépasse la raison et que l’on ne peut connaître ce qu’est véritablement la réalité.

Dans la pensée islamique, ce problème a été abordé par les théologiens (kalamistes) en prenant soin de ne pas contredire leurs positions théologiques. Les ash’arites, qui mettaient en avant la puissance de Dieu, affirmaient que Dieu, en tant qu’auteur absolu, pouvait agir comme il l’entendait, et que ses actes ne pouvaient être questionnés. Toutefois, cette approche a été jugée problématique car elle entre en contradiction avec le nom juste de Dieu. En revanche, les mu’tazilites, soucieux de préserver l’absolue transcendance de Dieu, ont soutenu que le créateur du mal n’était pas Dieu, et que l’auteur des actes humains était l’homme lui-même. Cela a soulevé la question de savoir qui crée le mal. Autrement dit, faut-il parler des dieux du bien et du mal (saneviyya) ou, comme dans la religion zoroastrienne, de la distinction entre Ahura Mazda et Ahriman ? Dans un système de croyance fondé sur l’unicité de Dieu, de telles distinctions ne pouvaient être faites, ce qui a rendu les débats interminables. Comme il est bien connu, les ash’arites soutenaient que le bien et le mal (husn-qubh) ne pouvaient être déterminés que par la loi religieuse (shari’a), tandis que les mu’tazilitesaffirmaient que le bien et le mal résidaient dans l’essence des choses, et donc pouvaient être définis par la raison. La plus large et la plus influente des explications à ce sujet a été donnée par Ghazali, et cette explication sera abordée en temps voulu.

L’existence de Dieu et le problème du mal

Les athées, en affirmant que l’existence de Dieu et la présence du mal sont incompatibles, cherchent à faire de cette situation une preuve de l’inexistence de Dieu. Cependant, il y a ici une erreur de catégorie. Pour parvenir à cette conclusion, il faudrait que l’un des deux concepts, celui du mal ou de Dieu, exclut l’autre. Or, l’existence de Dieu et celle du mal ne sont pas des situations contradictoires et peuvent être expliquées de manière cohérente. Nous pouvons fournir une explication en partant de l’exemple suivant. Imaginons un roman ou un film dans lequel de nombreux maux, comme un incendie, un tremblement de terre, etc., se produisent, et où des victimes sont présentes. En observant les événements et les situations des victimes, on ne pourrait pas dire que le scénariste est une mauvaise ou une personne impuissante. Pourrait-on même affirmer que le scénariste ne peut pas être une personne bonne et puissante, parce que cela entrerait en contradiction avec le contenu du film, et donc que le scénariste n’existe pas réellement ? Ne pourrait-on pas envisager que le scénariste fasse allusion à certaines vérités à travers le film et cherche à transmettre des messages ?

Comme on peut le voir, l’existence du mal n’implique pas que l’existence de Dieu soit impossible et ne prouve pas son inexistence. En d’autres termes, il existe des explications raisonnables pour que le mal et Dieu coexistent.

Le problème du mal du point de vue de l’athéisme

Il est évident que les théistes doivent produire des réponses et des défenses face au problème du mal. D’autre part, il est nécessaire que les athées justifient les concepts du bien et du mal et en fassent une définition raisonnable. Les explications des athées doivent être entièrement fondées sur la nature et ne doivent pas comporter d’éléments qui la transcendent. Dans la nature, il n’existe pas de valeurs objectives indépendantes de l’homme auxquelles on pourrait attribuer le bien ou le mal. Les concepts du bien et du mal ne peuvent apparaître qu’en présence d’un être conscient, tel l’homme, et doivent donc avoir un caractère relatif. Certains athées affirment que les concepts du bien et du mal sont si évidents qu’ils ne nécessitent aucune explication. Cependant, cette approche ne semble pas correcte, car chaque individu naît dans une société particulière et donc dans un ensemble de valeurs qui peuvent être considérées comme universelles. En ce sens, il peut sembler que les concepts de bien et de mal soient suffisamment clairs. Cependant, du point de vue de l’athéisme, ces concepts doivent être le résultat du processus évolutif. Si le processus évolutif s’était déroulé autrement et que notre conscience se fût développée de manière différente, les concepts du bien et du mal auraient des significations différentes. Par exemple, pour un lion, chasser une gazelle n’est pas un mal, car dans le monde du lion, les valeurs et perspectives humaines n’existent pas. Dans ce cas, on pourrait dire que, du point de vue humain, les concepts du bien et du mal sont simplement le produit d’une perception imposée par le processus évolutif.

D’autre part, il est évident que soutenir que Dieu n’existe pas ne permettra en aucun cas de résoudre les maux sur Terre ni d’apporter du sens aux événements qui se produisent. Si derrière tous les phénomènes il n’y a pas un Dieu sage, l’athée devrait répondre « oui » à la question « la source du mal est-elle la nature ? » Puisque la nature n’a pas de conscience, les maux qui en résultent n’ont aucune valeur ni objectif sur le plan du sens. En résumé, il est clair que le rejet de Dieu ne contribue en rien à la résolution du problème du mal pour les athées.

Arguments en faveur de la solution du problème du mal (théodicées)

Avant de présenter les arguments qui pourraient constituer une réponse au problème du mal, deux clarifications préalables sont nécessaires.

La première : il est possible de contester chaque argument visant à résoudre le problème. Vu sous cet angle, on pourrait penser que chaque tentative de solution est invalide en raison des aspects qu’elle ne parvient pas à expliquer ou qui sont sujets à contestation. Cela pourrait conduire à la conclusion erronée que toutes les solutions sont épuisées et qu’il n’existe aucune réponse au problème. À ce point, il convient de réfléchir de la manière suivante : chaque tentative de solution éclaire une partie du problème tout en restant incomplète sur certains aspects. Souligner uniquement les aspects manquants revient à ignorer les éléments de solution qui sont apportés. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’un seul argument fournisse une solution qui couvre l’ensemble du problème. En d’autres termes, il faut considérer l’ensemble des arguments, en tenant compte des parties qu’ils apportent à la solution, et regarder le tout comme un ensemble. Cela peut être comparé à une corde faite de fils fins. En effet, chaque fil pris individuellement ne peut supporter qu’un poids limité et se briserait facilement sous une charge plus lourde. Mais lorsque ces fils sont tressés ensemble pour former une corde, elle peut supporter des poids considérables et devient bien plus résistante que la somme de ses parties.

La deuxième clarification : l’argument principal des athées concernant le problème du mal est que l’existence de Dieu et l’existence du mal sont des situations contradictoires, c’est-à-dire que, selon la pensée athée, l’existence de Dieu et celle du mal forment une contradiction. Par conséquent, ce que l’on doit démontrer dans le cadre du théisme est qu’il n’y a aucune contradiction entre l’existence de Dieu et celle du mal. Puisque le théiste doit démontrer la cohérence interne de sa croyance, il a le droit de partir de ses propres valeurs religieuses pour procéder à cette démonstration.

Le théisme sceptique

La base de cette théodicée, connue sous le nom d’argument du théisme sceptique, repose sur l’idée que les actions de Dieu ont nécessairement une sagesse, mais que les êtres humains ne peuvent pas connaître avec certitude l’intention ou le but de Dieu. La connaissance humaine étant limitée par les possibilités de son existence, l’homme ne peut pas comprendre ni saisir la signification des actes de Dieu, qui possède une connaissance infinie et une sagesse suprême. Il existe une différence non pas de degré, mais de nature entre la connaissance humaine et celle de Dieu, et cette différence ne peut être comblée. Cet argument soutient que, derrière les événements qui semblent mauvais et douloureux pour les humains, il y a d’autres vérités et que Dieu possède une sagesse que les êtres humains ne peuvent comprendre. Si l’on considère que ces maux ne sont pas sans raison et que Dieu prépare des résultats positifs pour l’humanité, alors le problème du mal peut être considéré comme fondamentalement résolu. Dans ce contexte, il serait pertinent d’examiner les versets 30-31 de la Sourate Al-Baqarah, qui traitent à la fois du problème du mal et de sa solution :

« Lorsque ton Seigneur dit aux anges : ‘Je vais établir sur la terre un vice-roi.’ Ils dirent : ‘Vas-tu y placer quelqu’un qui y fera le mal et versera le sang, tandis que nous te glorifions et proclamons ta sainteté ?’ Il dit : ‘En vérité, je sais ce que vous ne savez pas.’ »

Comme on peut le voir clairement dans ce verset, alors que les anges attirent l’attention sur le problème du mal, Dieu leur répond en disant : ‘Je sais ce que vous ne savez pas.’ Dans le verset suivant, les anges déclarent : ‘Nous n’avons de connaissance que de ce que Tu nous as enseigné ; en vérité, c’est Toi le Tout-Savant.’ Ainsi, la question est résolue.

Pour illustrer la force explicative de cet argument, il serait utile d’examiner les analogies suivantes :

Lorsqu’un médecin administre des médicaments douloureux à un patient ou a recours à une intervention chirurgicale, son but n’est pas de faire souffrir le patient, mais de le guérir de sa maladie. Il faut noter qu’ici, la souffrance du patient n’est pas due à la malveillance du médecin, mais à la nature de la maladie. Il n’est donc pas approprié pour le patient de se plaindre du médecin ou de la méthode de traitement. Un patient capable de faire une évaluation réaliste et raisonnable devrait être conscient de la situation et comprendre qu’il n’y a pas de mal dans ce contexte.

Un père, sachant que le chocolat est mauvais pour la santé de son enfant, refuse de lui en acheter. L’enfant, qui ne peut comprendre les conséquences de sa maladie, pourrait pleurer et considérer cela comme une forme de mal. De même, un enfant conduit à la vaccination pourrait penser que son père lui cause de la douleur. Il est évident que dans ces situations, le père n’a aucune intention de nuire à son enfant, mais lorsque l’enfant grandira et mûrira, il comprendra la véritable intention de son père et réalisera qu’il lui a fait du bien. Ainsi, le problème ne réside pas dans le mal, mais dans le processus de maturation et dans la capacité de l’enfant à saisir la réalité cachée derrière ce qui semble être un mal.

Une personne examinant une grande œuvre de Picasso avec une loupe dans un musée pourrait déclarer que la partie noire du tableau est composée de lignes sombres et sans signification. Cependant, ces zones noires (les « maux ») sont, dans le contexte de l’ensemble du tableau et du message qu’il véhicule, précisément à leur place et sont nécessaires. La personne qui examine le tableau avec une loupe n’étant pas capable de voir l’ensemble de l’œuvre, ne peut pas apprécier la totalité du tableau et la beauté de celui-ci. Le problème ne réside donc pas dans le tableau, mais dans la vision limitée de l’observateur et son manque de compétence en matière d’art pictural.

Le message derrière l’histoire de l’homme sage et de Moïse dans la Sourate Al-Kahf :

Dans le contexte de l’histoire de l’homme sage et du prophète Moïse dans la Sourate Al-Kahf, le message voulu peut être interprété de cette manière. Les événements de la coque du navire percée, de l’enfant tué et du mur réparé ont été perçus par le prophète Moïse comme étant des actions erronées et mauvaises. Cependant, lorsqu’une explication adéquate est donnée, on comprend que derrière les objections formulées par Moïse se trouvent des sagesses et des justifications.

En définitive, l’homme, en raison de la limitation de sa perception et de son incapacité à saisir la totalité de la situation, peut percevoir une situation qui est en réalité bénéfique et positive comme étant un mal. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il existe une contradiction entre la puissance et la bonté de Dieu, mais plutôt que la perception et la connaissance humaines sont limitées.

La vie d’ici-bas et de l’au-delà et l’intégrité de l’épreuve

Du point de vue théiste, l’existence d’une vie après la mort et le fait que la vie terrestre soit un test offrent une solution raisonnable au problème du mal. Tout ce que Dieu a créé est bon et bénéfique, soit directement, soit indirectement. Dieu veut toujours ce qu’il y a de mieux pour ses serviteurs et n’a aucune intention de les faire trébucher, de les faire tomber ou de leur créer des prétextes pour les punir. En d’autres termes, les phénomènes qui se produisent sont, de manière évidente ou à travers leurs conséquences, en faveur de l’homme. Le fait que l’homme soit en train de passer par un processus de test dans la vie terrestre et qu’il existe une vie après la mort permet de comprendre que les difficultés rencontrées et les problèmes qui semblent être des maux dans cette vie seront compensés dans la vie de l’au-delà. Par exemple, lorsqu’une personne se fait voler de l’argent et rencontre de graves difficultés, le fait qu’elle sache que ces souffrances seront largement compensées dans l’au-delà et que ces maux ne resteront pas sans récompense rend les problèmes plus compréhensibles et raisonnables. Ceux qui meurent en martyrs lors de guerres, ceux qui perdent la vie jeunes, ceux qui souffrent de maladies, etc., recevront une telle récompense qu’il deviendra évident que leurs souffrances terrestres étaient en réalité une bénédiction cachée. Il ne faut pas en déduire qu’il est approprié de minimiser la douleur d’autrui ou de choisir une vie douloureuse. En effet, de nombreux hadiths indiquent qu’il est nécessaire de toujours demander à Dieu la santé, le bien-être et la facilité, et de prier pour être préservé des maladies et des situations de guerre.

Le fait qu’une personne rencontre des difficultés matérielles ou spirituelles ne signifie pas que Dieu ne l’aime pas ou qu’il veut lui faire du mal. En particulier, si l’on considère les épreuves sévères auxquelles les prophètes ont été soumis, il devient évident que cette idée est fausse. La vie doit être pensée comme un match en deux temps ; il ne faut pas prendre de décisions hâtives en ne considérant que les résultats de la première moitié. En résumé, ce qui peut sembler un mal irrémédiable du point de vue de l’athée devient significatif pour le théiste dans le contexte de l’existence de l’au-delà et du processus d’épreuve.

La nature et l’intégrité du bien et du mal

Lorsqu’on examine de plus près les concepts de bien et de mal, on peut observer qu’il existe à la fois une opposition et une forme de relation nécessaire entre ces deux notions. À l’échelle individuelle ou sociale, un événement qui peut être perçu comme bon par une partie peut être considéré comme mauvais par une autre. Par exemple, un potier souhaitera que le temps soit ensoleillé pour que ses poteries sèchent, tandis qu’un agriculteur souhaitera que le temps soit pluvieux pour que ses cultures poussent. Le feu peut être bénéfique pour la chaleur ou la cuisson, mais il peut aussi être perçu comme mauvais lorsqu’il cause un incendie. Dans ce cas, il ne serait pas logique de souhaiter que le feu n’existe pas simplement parce qu’il peut causer un incendie, ni de désirer que la pluie ne tombe pas juste parce qu’elle peut provoquer des inondations. Ainsi, comme le montre cet exemple, l’existence d’un bien met en évidence le bien lui-même, tandis que son mauvais usage peut conduire au mal, et en pratique, le bien et le mal coexistent inévitablement.

Pour que le bien devienne évident et compréhensible, le mal, son opposé, doit également exister. Les poissons, n’ayant aucune connaissance de la sécheresse, ne peuvent pas percevoir l’humidité bien qu’ils soient dans l’eau. De même, il est impossible de percevoir la lumière sans l’obscurité, ou la beauté sans la laideur. Un dessin fait avec un stylo noir sur une feuille noire ne pourra pas être distingué ; pour qu’il soit clairement visible, il faut utiliser un stylo blanc. Dans cette perspective, pour comprendre les noms et attributs de Dieu et pour qu’ils se manifestent, des opposés similaires doivent exister ensemble. Par exemple, pour le nom Ar-Razzâq (Le Pourvoyeur), il doit exister la souffrance de la faim ; pour Ash-Shâfî (Le Guérisseur), il doit y avoir des maladies ; pour Al-‘Adl (Le Juste), il doit y avoir des injustices, et pour Al-‘Afûw (Le Pardonneur), il doit y avoir des péchés. C’est pourquoi Dieu a permis à Adam de pécher, permettant ainsi l’émergence du mal.

La théodicée du meilleur monde possible

La théodicée du « meilleur monde possible » avancée par Al-Ghazâlî et qui possède une caractéristique originale, a été popularisée en Occident par le philosophe Leibniz. Selon Al-Ghazâlî, le monde dans lequel nous vivons est le meilleur choix possible du point de vue des objectifs, et c’est pour cette raison que Dieu a créé le monde de cette manière. Autrement dit, Dieu n’a pas créé une version inférieure du monde alors qu’une version meilleure existait.

L’objection la plus immédiate à cette thèse pourrait être : « Le monde dans lequel nous vivons ne peut pas être le meilleur des mondes possibles. En pratique, nous faisons face à de nombreuses difficultés comme la guerre, les maladies, les incendies, les inondations, etc., et un monde sans ces souffrances serait manifestement meilleur. » L’erreur dans cette objection réside dans le fait qu’on oublie que la perfection prend sens uniquement lorsqu’elle est orientée vers un objectif. Par exemple, il est approprié pour une personne d’assister à un événement officiel en portant un costume, mais si cette même personne devait escalader une montagne, il serait absurde de porter ce costume. De même, jouer de la musique à haute voix ou distribuer de la nourriture dans une salle d’étude silencieuse ne rendrait pas cet endroit plus parfait. Pour qu’une perfection soit réalisée, les attentes doivent être définies en fonction de l’objectif que l’on cherche à atteindre ; ainsi, la perfection ne consiste pas à rassembler tous les éléments ensemble, mais à se concentrer sur la réalisation d’un objectif précis.

L’argument de la « meilleure des mondes possibles » de Ghazâlî implique en fait que le monde est le meilleur cadre possible pour la mise en place d’un test. En d’autres termes, Dieu a préparé un environnement parfait pour que chaque individu puisse découvrir ce qu’il est vraiment, sans interférer dans sa liberté. Ce monde n’est pas un lieu de loisirs, mais un lieu de test dans lequel il a été annoncé aux participants qu’ils devront affronter un processus difficile. En effet, dans le verset 156 de la Sourate Al-Baqarah, il est dit que les êtres humains seront éprouvés par la peur, la faim et les biens matériels. Ainsi, ceux qui sont conscients qu’ils sont dans une épreuve ne s’attendront pas à ce qu’il y ait des distractions dans la salle d’examen, ne se plaindront pas en disant « Pourquoi n’y a-t-il pas de divertissement ici ? Pourquoi suis-je en train de transpirer ? Ce lieu n’est pas parfait, il pourrait être mieux ! »

Comme on peut le constater, Allah n’a pas promis un paradis terrestre aux êtres humains. Un lieu sans douleur ni souffrance, où les gens pourraient vivre dans un bonheur éternel, existe en effet, et c’est la vie éternelle au paradis. Lorsque les gens s’attendent à ce genre de vie dans ce monde terrestre et que ces attentes ne se réalisent pas, cela devient une forme de perception du problème du mal.

D’autre part, cette attente de perfection dans ce contexte est problématique car elle contient une sorte de contradiction interne. En réfléchissant à ce que signifie un monde meilleur, il devient évident qu’une chaîne sans fin d’attentes serait formée. Par exemple, la capacité visuelle humaine a une certaine plage, c’est-à-dire qu’à une distance donnée, nous ne pouvons pas voir les objets en raison de nos limites sensorielles. Si l’on réfléchit à ce qu’il faudrait pour améliorer notre capacité de vision, on se rendra vite compte que cette limite s’étendrait jusqu’aux étoiles et au-delà, dans d’autres galaxies. Le problème de la perfection de la vue ne se terminerait pas ainsi et on voudrait aussi voir de petits objets ou des objets obstrués. Si cette logique est suivie, la perfection de la vue atteindrait un statut divin, c’est-à-dire que l’on serait capable de tout voir de partout. Cet exemple, s’il est appliqué à d’autres domaines, montre qu’en réalité, l’être humain se plaindra toujours que chaque situation est imparfaite, tant qu’il ne possède pas les attributs divins. Si la quête de perfection concerne les plantes, les animaux, et même les objets inanimés, une confusion sans fin en résulterait, perturbant totalement la hiérarchie des êtres. Les demandes continueraient jusqu’à ce que toutes les créatures possèdent les attributs de Dieu (immortalité, puissance illimitée, etc.).

La théodicée du libre arbitre

En tant qu’être libre, l’homme a le potentiel d’accomplir des actes bons ou mauvais selon ses choix. Pour éliminer les maux provenant des choix humains, il serait nécessaire de priver les individus de leur liberté et de leur capacité à faire des choix. Par conséquent, le coût de l’élimination du mal serait la perte de la liberté de l’homme. Lorsqu’on prive l’homme de sa liberté, il ne différera plus d’un robot et perdra sa nature humaine. Ainsi, il peut être dit que l’existence de la liberté rend inévitable l’apparition du mal.

À ce point, la question pourrait se poser : « Est-il possible de créer des êtres humains de manière à ce qu’ils ne commettent jamais de mal, c’est-à-dire qu’ils choisissent toujours le bien de leur propre volonté ? » Comme on le sait, Allah a créé des êtres appartenant à diverses catégories, telles que des objets inanimés, des plantes, des animaux, et des humains. La catégorie d’êtres mentionnée dans la question existe déjà sous la forme des anges. L’être humain, cependant, se distingue en étant un être qui peut choisir librement entre le bien et le mal. En résumé, en raison de la liberté, il est inévitable que certains maux existent.

La théodicée du « soul making »

L’argument du « soul making » (fabrication de l’âme) a été développé dans le monde occidental par Irénée et J. Hick, et dans le monde islamique, il est plutôt soutenu par l’école soufie. Cet argument repose sur l’idée que pour que l’homme puisse se développer, progresser et se réaliser pleinement, il doit nécessairement lutter contre certaines difficultés. Ne pas mener cette lutte signifie que les capacités présentes dans la structure de la personne ne se manifesteront pas, et même que son caractère pourrait s’affaiblir. Il est évident que les personnes ayant rencontré divers obstacles dans la vie sont généralement plus réussies et plus résilientes que celles qui n’ont pas connu de difficultés. Par conséquent, l’existence de certaines difficultés et souffrances vise en réalité à éliminer la rudesse de l’homme et à achever son développement.

La théodicée face aux maux naturels

Le problème du mal naturel désigne les catastrophes qui, bien que non causées par l’homme, découlent d’événements naturels tels que les inondations, les incendies, les tremblements de terre, etc. Il est nécessaire d’aborder ce problème en deux points. Premièrement, bien que le concept de mal naturel ne provienne pas de l’homme, en y regardant de plus près, on peut constater que certains des dommages causés par des phénomènes naturels ont en réalité une cause humaine. Par exemple, les grands incendies dus à la négligence, les maisons construites au bord des rivières qui sont emportées par les inondations, ou encore les catastrophes et maux causés par des bâtiments techniquement insuffisants et mal situés, ne peuvent pas être comptabilisés comme des maux naturels. Par conséquent, il convient ici de parler non pas de mal naturel, mais de mal causé par l’homme.

D’autre part, il est indéniable qu’il existe des maux naturels et des souffrances qui ne sont pas dues à la négligence ni à la responsabilité humaine. Ces catastrophes, comme leur nom l’indique, résultent de l’application des lois naturelles qui existent dans la nature. Par conséquent, vouloir la suppression totale de ces maux reviendrait à demander que les lois naturelles deviennent invalides dans de telles situations. En d’autres termes, cela signifierait que le feu ne brûle pas, que les eaux des inondations ne coulent pas, et que le couteau ne coupe pas. Dans ce cas, un problème surgirait, car cela perturberait l’ordre de la nature, qui est l’un des plus grands signes de l’existence de Dieu. En résumé, si les maux naturels étaient continuellement empêchés par l’intervention divine, cela entraînerait l’annulation constante des lois naturelles. Cela, à son tour, détruirait l’ordre naturel et mettrait fin à l’existence des connaissances scientifiques.

Conclusion

Les solutions proposées pour le problème du mal ci-dessus peuvent susciter de nouvelles questions et objections, mais il ne faut pas oublier qu’une réponse peut toujours être apportée à chaque objection. Pour clarifier le problème, on peut prendre comme exemple une objection formulée par les athées. Les athées disent : « Même si l’on admet l’existence d’un certain mal, en pratique, on constate qu’il existe bien plus de mal qu’il n’est nécessaire. Il y a un excédent inutile de mal. » Il est à noter que, dans cette objection, le problème n’est plus l’existence du mal, mais plutôt la quantité de mal qui serait excessive. Dans ce cas, la question de savoir « qui décide de la quantité de mal nécessaire et à partir de quel point un mal devient inutile » se pose. Par exemple, pour un élève qui ne souhaite pas aller à l’école, étudier et passer des examens est un processus inutile et douloureux. Si tout le monde recevait son diplôme sans effort, tout serait résolu sans problème. Cet élève, ne comprenant pas l’importance de l’éducation et la nécessité d’étudier, perçoit tous ces efforts comme un mal inutile. Comme on peut le comprendre de l’exemple, chacun répondra à la question de ce qui constitue un mal inutile en fonction de sa propre perception, et le problème du mal restera donc sans solution.

Les athées soutiennent que l’existence de Dieu et la bonté absolue de Dieu, ainsi que l’apparition du mal, engendrent une contradiction dans la structure interne de la croyance théiste. Pour qu’un théiste puisse démontrer qu’il n’y a pas de contradiction, il doit formuler des arguments fondés sur ses propres valeurs de croyance. Par conséquent, le théiste a le droit d’utiliser l’existence de Dieu, sa bonté et son pouvoir absolu comme un acte, et l’athée doit accepter cela et orienter ses objections en conséquence. Cependant, dans la pratique, lorsqu’ils mènent des débats, les athées semblent sortir de ce cadre et mettre les théistes dans une position difficile.

Enfin, on peut dire ceci : pour les personnes ayant la foi en Dieu, aucune des souffrances vécues dans la vie terrestre ne sera vaine ni dépourvue de sens. Dieu connaît tous ces processus et les juge avec sagesse. Par conséquent, le théiste est plus résilient et optimiste face aux difficultés de la vie.