Le point faible de la Nouvelle Syrie : les Minorités

La Syrie, ayant de nouveau fait l’expérience sanglante de l’équation destructrice du pouvoir basé sur les minorités, comme elle l’a vécu dans son histoire, s’emploiera désormais à panser ses plaies. Aujourd’hui, un avenir brillant, mais non sans risques, s’étend devant elle. Si elle parvient à transformer ses différences internes en une richesse, malgré ses ressources limitées, sa démographie fragmentée et les risques de sécurité liés à Israël, la Syrie se relèvera rapidement et bâtira probablement la seule démocratie du monde arabe.
février 8, 2025
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La Syrie, ayant de nouveau fait l’expérience sanglante de l’équation destructrice du pouvoir basé sur les minorités, comme elle l’a vécu dans son histoire, s’emploiera désormais à panser ses plaies. Aujourd’hui, un avenir brillant, mais non sans risques, s’étend devant elle. Si elle parvient à transformer ses différences internes en une richesse, malgré ses ressources limitées, sa démographie fragmentée et les risques de sécurité liés à Israël, la Syrie se relèvera rapidement et bâtira probablement la seule démocratie du monde arabe.

La Spirale Corrosive de la Syrie : Les Minorités
Indépendamment des récentes agitations, la Syrie demeure un pays important. L’État syrien, établi sur ce territoire stratégique de la Méditerranée orientale, n’est qu’un fantôme mutilé par les colonisateurs d’une région autrefois définie dans le système administratif ottoman sous le nom de Bilad al-Cham. Carrefour entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique, le Bilad al-Cham est aujourd’hui divisé en cinq États : la Syrie, la Jordanie, Israël, la Palestine et le Liban. La Syrie est le plus grand de ces pays en termes de territoire et de population. Cependant, avec la création du Liban et d’Israël, elle s’est retrouvée isolée des côtes méditerranéennes stratégiques, enfermée sous la dictature alaouite des Assad, coupée du monde, et caractérisée par une économie largement agricole, des ressources limitées et une démographie éclectique et fragile. Il est évident que, comme au siècle dernier, la Syrie continuera d’être l’épicentre des turbulences politiques dans le monde arabe.

Maintenant que 54 ans de dictature alaouite sous les Assad ont pris fin, revenir au point de départ pour analyser sereinement les caractéristiques structurelles de la société syrienne, façonnée par la sociologie et la géographie, et qui a produit l’un des régimes dictatoriaux les plus sombres de l’histoire, offrira probablement les enseignements politiques et culturels les plus utiles.

Les côtes et les régions intérieures associées de la Syrie et du Liban, désignées par les Occidentaux sous le nom de Levant, possèdent des caractéristiques géographiques et démographiques nettement différentes de celles du désert arabe. Sans aucun doute, la configuration de cette région et de sa démographie, formée, remodelée et recomposée à plusieurs reprises, ne peut être dissociée, au moins pour les 1000 dernières années, de l’univers culturel islamique, en particulier en lien avec la période antérieure aux conquêtes islamiques. La démographie, résultant de l’interaction étroite entre géographie, économie et politique, peut être lue comme une distinction marquée entre les côtes/plaines et les montagnes/déserts. Avec ses 22 millions d’habitants et ses 185 000 kilomètres carrés, la Syrie incarne cette structure politique rigide, conflictuelle et antagoniste produite par les différences géographiques et démographiques.

La Syrie : Une galerie vivante de cultures archéologiques

Tout d’abord, la Syrie et le Liban, depuis les Phéniciens, ont toujours été au cœur des grands réseaux commerciaux mondiaux de presque toutes les époques. À travers ces vastes réseaux, des cultures, des courants politiques et des populations, transportés d’un côté depuis le désert arabe et de l’autre depuis la Méditerranée et l’Europe, ont souvent adopté un comportement de séjour temporaire en Syrie plutôt que de s’y établir durablement. De 300 avant J.-C. jusqu’aux années 60 avant J.-C., les campagnes d’Alexandre le Grand et de ses successeurs, suivies des guerres entre les Perses et les Romains qui durèrent 700 ans (de 100 avant J.-C. à 600 après J.-C.), l’émergence du christianisme qui remodela la région, les conquêtes islamiques à partir de 700 après J.-C., les croisades dès 1100, les invasions mongoles et, au même moment, la vague chiite venue d’Iran qui dévasta la région, ont tous joué un rôle essentiel dans la formation d’un espace géographique et culturel vivant. Ce dernier fut marqué par les mouvements, affrontements et transformations d’armées massives, de grandes communautés humaines, et de religions, cultures et politiques concurrentes. La Syrie fut probablement la scène la plus importante de cette histoire mouvementée.

Ce territoire a servi presque en permanence de route de passage pour les armées, les caravanes et les croyances religieuses, jouant tantôt le rôle de halte, tantôt celui de pont. Ces passages et arrêts temporaires ont laissé des traces profondes et durables, non seulement sur la politique, mais également sur la démographie, la culture, les croyances et l’économie. On peut dire que la Syrie est le produit de toutes ces incursions et de ces grands mouvements humains, militaires comme civils.

Microcosme du Moyen-Orient, la Syrie est une galerie vivante de cultures archéologiques. Cette histoire vivante, ces « fossiles existants», issus non seulement du Moyen Âge mais également de la préhistoire, se mêlent et se réinventent constamment. Malgré les risques sociaux et politiques qu’elle génère, toute cette diversité constitue l’essence même de la Syrie.

En Syrie, chaque confession, religion et groupe ethnique est associé à une région géographique particulière. Au centre du pays, Damas, Hama et Homs forment les bastions de la majorité sunnite arabe. Au sud, dans les montagnes druzes, réside la communauté druze hétérodoxe, qui a résisté au pouvoir central de Damas à presque toutes les époques et entretient des liens étroits avec ses voisins, la Jordanie et Israël.

Au nord, la ville d’Alep, cosmopolite et centre de commerce, abrite de nombreux Kurdes, Turkmènes, Arabes chrétiens, Arméniens, Circassiens et Juifs, qui se sentent plus proches de Mossoul, Bagdad et l’Anatolie que de Damas. À l’ouest, dans la région de Lattaquié, au nord du Liban, se trouvent les Alaouites dans les montagnes qui portent leur nom. Salamiyeh, rattachée à Hama, est un centre important pour les Ismaéliens nizârites de Syrie.
Les Alaouites, les Druzes et les Ismaéliens sont les vestiges des vagues chiites qui ont traversé et transformé la région il y a un millénaire.

Dictature de crime fondée sur le soupçon, la peur et la haine : Assad et les Alaouites
Cette diversité contradictoire, qui a parfois suivi une voie d’assimilation pour parvenir à une harmonie, (concernant particulièrement la minorité alaouite) a mis en avant la dissimulation (taqiyya) comme une stratégie alternative d’adaptation. Ainsi, sous de nouveaux comportements, les anciennes croyances et modes de vie ont été préservés. En effet, les grands religieux alaouites affirmaient : « Al-kitman jihaduna » (la dissimulation est notre jihad).
En Syrie, dans une composition potentielle de pouvoir basée sur des minorités presque toutes rivales et nourries de soupçons et de haine mutuels, une dictature chaotique semblait être la seule équation de pouvoir possible. Lorsque Hafez al-Assad accéda au pouvoir en 1970, en renversant par un coup d’État le régime militaire auquel il appartenait lui-même, un tel équilibre chaotique s’est formé. Cependant, Assad disposait d’une « armée minoritaire » capable de protéger ce pouvoir chaotique. La structure de l’armée moderne syrienne, issue des Troupes Spéciales du Levant (Troupes Spéciales du Levant), créées par l’administration mandataire française à partir de minorités et principalement d’Alaouites, offrait la protection nécessaire à un tel régime dictatorial. Comme tout dictateur vivant dans la crainte d’un coup d’État, Assad resserra le cercle. Ainsi, s’appuyer uniquement sur la minorité alaouite ne suffisait pas : il construisit un cocon de pouvoir autour de son propre clan Hayyatin, puis de son village natal Kardaha, puis autour de ses proches parents, les Assad, et enfin du côté de son beau-père, les Makhlouf.

Dans ce cocon, il parvint à se maintenir au pouvoir grâce à la zone de confort offerte par l’Union soviétique pendant la Guerre froide, puis, à partir des années 1990, dans le courant de l’expansionnisme chiite iranien. Au cours des trois dernières années, il survécut en louant pratiquement le pays à la Russie et à l’Iran. Pendant ses 54 années de pouvoir, la dynastie Assad, enfermée dans un cercle de plus en plus restreint et criminel, a fait subir toutes sortes de souffrances aux différentes communautés syriennes. Finalement, ce régime sale et criminel, qui ne laissa d’autre option que la violence et les armes pour tout changement, disparut dans l’histoire en laissant derrière lui un million de morts, des villes détruites, une économie en ruines et un pays vendu aux puissances étrangères.

Au cours des cinquante dernières années, Hafez et son fils Bachar, Alaouites ayant dirigé la Syrie sous une lourde oppression, peuvent être considérés comme une réincarnation de Hassan Sabbah, le porte-parole de Syrie, Vieil Homme de la Montagne (Sheikh al-Jabal) et Rashid al-Din Sinan, qui terrorisèrent la Syrie pendant des décennies depuis la forteresse de Masyaf au XIIe siècle.

La prophétie du cheikh alaouite Salih al-Ali, qui avait refusé l’offre de la France de diriger la Syrie avant leur retrait, s’est réalisée. Lorsque des notables alaouites lui demandèrent des comptes après son refus, il déclara : « Sans le soutien d’une puissance étrangère, aucun groupe sectaire, ethnique ou partisan ne pourra gouverner la Syrie. Ceux qui tenteront cela avec un tel soutien extérieur causeront la destruction à la fois de leur minorité et de la Syrie. »

Les paroles d’Udi Ala Mohammed, un réfugié syrien qui m’avait parlé il y a des années, restent éclairantes quant à la seule option pour parvenir à une stabilité dans la structure sociale fragmentée de la Syrie : « Chez les Ismaéliens, on parle des sunnites comme du ‘berceau maternel des communautés’. Lorsqu’elles restent isolées, les minorités ne peuvent éviter les conflits, car nous avons tous des hostilités théologiques et historiques. Nous sommes tous étroits d’esprit et dépourvus de flexibilité. Seuls les sunnites font preuve de tolérance. »
Ce constat sincère offre un tableau frappant, notamment à la lumière des conflits violents survenus au cours des dix dernières années : les Druzes ne font pas confiance aux Alaouites, les Alaouites détestent les Ismaéliens, les chrétiens méprisent tout le monde, et les orthodoxes eux-mêmes sont divisés en des dizaines de sectes en désaccord entre elles… Ce portrait pourrait s’étendre encore davantage.

La Révolution syrienne et les opportunités gagnées avec le sang du peuple syrien

En Syrie, le sentiment d’appartenance à une patrie aux frontières définies est, dans une large mesure, moins important que les appartenances sectaires, religieuses et ethniques. En fait, comme dans tout l’Orient, l’idée d’une patrie sacralisée dans le sens d’un territoire délimité par des frontières est une innovation moderne introduite par l’État-nation, mais elle reste floue. Cependant, compte tenu des caractéristiques structurelles fondamentales de la société syrienne, ce sentiment est encore plus effacé. Bien que la société syrienne ait été endoctrinée pendant des décennies par l’idéologie baasiste (nationalisme arabe), malgré l’urbanisation induite par la vie moderne, les réseaux de transport, les moyens de communication répandus et une structure socio-économique partiellement modernisée, l’influence des structures minoritaires fermées mentionnées précédemment n’a pas pu être brisée. Cela est dû en partie aux théologies ésotériques, mais surtout à l’instrumentalisation des peurs des minorités par la dictature d’Assad, qui a créé un équilibre d’intérêts et de sécurité. Les différences ethniques et sectaires ne sont pas en elles-mêmes une cause de conflit. Presque toujours, ces différences deviennent des éléments, des parties ou des cibles du conflit lorsqu’un pouvoir politique les instrumentalise. Cela a également été le cas en Syrie.

La révolution syrienne, à la surprise de nombreux analystes, a renversé la dictature d’Assad en moins d’une semaine. Cependant, il ne faut pas oublier que derrière cette chute rapide se trouvent 14 années de résistance et 54 ans de décomposition progressive. Au cours des deux dernières années, l’armée du régime n’était plus qu’une bande criminelle dirigée par les Assad, impliquée dans la contrebande, les enlèvements pour rançon, les viols et les trafics de drogue, incapable même de fournir un repas quotidien à ses soldats. Cette organisation, dépourvue de motivation politique, n’avait ni la force, ni le soutien, ni la volonté de résister à la résistance du peuple syrien.

La Syrie a une fois de plus expérimenté de manière sanglante, comme dans son histoire, à quel point une équation de pouvoir basée sur les minorités peut être destructrice. Maintenant, elle devra panser ses blessures. Le traumatisme social créé par cette expérience prendra probablement des décennies à guérir. Aujourd’hui, un avenir prometteur, mais non sans risques, s’ouvre devant la Syrie. Si elle parvient à transformer ses différences internes en une richesse, malgré ses ressources limitées, sa démographie fragmentée et les risques de sécurité posés par Israël, la Syrie se redressera rapidement et pourra probablement devenir la seule démocratie du monde arabe.

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