Francis Fukuyama ? Passons !
Fukuyama est un penseur médiocre, qui ne sait rien faire d’autre que de caricaturer le monde de la science et de la pensée pour le rendre populaire, en avançant des opinions politiques souvent fluctuantes. Les idées de son livre “Notre avenir posthumain” ne méritent pas qu’on s’y attarde davantage : elles sont absurdes et non scientifiques. La raison pour laquelle nous nous intéressons à lui est avant tout son lien avec les thèmes du « posthumain » et du « transhumain ». Le livre de Fukuyama est l’un des premiers travaux consacrés à ce sujet et révèle dès le départ sa connexion avec les structures profondes des États-Unis.
Bien que l’ouvrage ait été traduit par « post-humain », cette interprétation est incorrecte ; le terme devrait plutôt être compris comme l’équivalent de « trans-human ». Fukuyama, percevant le transhumanisme comme l’une des idées les plus périlleuses à l’échelle mondiale, a choisi d’intituler son livre avec le concept de « posthuman », que l’on devrait traduire par « trans-humain ». Quant à la notion de « trans-humainanisme », elle représente, comme nos lecteurs le savent, l’un de nos adversaires les plus redoutables, et il nous faudra nous y confronter avec une vigilance accrue
Francis Fukuyama, dans ma mémoire, est quelqu’un qui établit à sa manière des liens simplistes et expéditifs entre la philosophie, la science, l’histoire et la pensée politique, sans comprendre ni respecter l’importance de la réflexion, mais en quête de phrases et de conclusions capables de le propulser vers la célébrité. Récemment, en lisant encore un long article de lui sur notre site (https://kritikbakis.com/insan-dogasini-geri-getirmek/), j’ai ressenti la même impression. En le voyant parler comme s’il s’agissait d’un ouvrage important de son livre Notre avenir posthumain, je me suis rappelé ce que j’avais écrit il y a dix ans à propos de ce livre lamentable.
Aujourd’hui discrédité, Francis Fukuyama, l’auteur de la thèse de la « fin de l’histoire » publiée en 1992, fit paraître dix ans plus tard un autre ouvrage en accord avec cette thèse absurde, intitulé Notre avenir posthumain : Les conséquences de la révolution biotechnologique. Traduit peu après dans notre langue par les éditions de l’Université du Moyen-Orient (ODTÜ Yayınları), ce livre avait été sévèrement critiqué par nos soins dans un article intitulé : « Seuls ceux qui ignorent parlent, voilà le problème ! » (revue Virgül, numéro de septembre 2004, et La psychiatrie dans la vie quotidienne, Pedam Yayınları, 2009). Voyons voir :
Seuls Ceux qui Ignorent Parlent
Depuis la thèse de la « fin de l’histoire » de Fukuyama, un consensus existe sur le fait qu’il fait partie des esprits décisifs de ce cadastre intellectuel travaillant pour l’hégémonie américaine. Rien que pour cette raison, il vaudrait la peine de prêter l’oreille à ce qu’il dit ; mais le nouveau livre de Fukuyama traite en outre de questions qui concernent directement l’humanité tout entière et auxquelles aucun intellectuel ne peut rester indifférent.
Fukuyama se range du côté de la notion de « nature humaine », concept que des ironistes libéraux tels que Richard Rorty abordent de façon très critique, c’est-à-dire qu’il pense qu’il existe bel et bien une « nature humaine ». Il affirme également que la menace la plus importante engendrée par la biotechnologie contemporaine réside dans la possibilité de modifier cette nature humaine, et ainsi de nous faire entrer dans une période historique « posthumaine ». Selon lui, la nature humaine façonne les régimes politiques ; par conséquent, une technologie dotée du potentiel de nous remodeler aurait aussi des conséquences politiques nouvelles. Aujourd’hui, il existe de nombreux problèmes liés à la discrimination génétique, à la confidentialité des informations génétiques, ou encore à l’achèvement du Projet Génome Humain (HUGO). Mais dans Notre avenir posthumain : Les conséquences de la révolution biotechnologique, Fukuyama ne s’attarde sur aucun de ces problèmes ; il considère toutes les thèses et affirmations des partisans de la biotechnologie comme si elles étaient possibles, voire déjà prouvées. Comme si la biotechnologie avait déjà créé un nouvel être humain et qu’il était désormais possible pour ceux qui la contrôlent de produire n’importe quel type d’être vivant ou humain, il se lance dans la discussion sur ce qui adviendra ensuite. En abordant ainsi le sujet, il souligne que les problèmes sont non seulement éthiques, mais aussi politiques.
Depuis la Grèce antique, les hommes n’ont cessé de débattre de savoir si c’est la nature ou bien l’éducation qui influe sur le comportement humain. Mais selon Fukuyama, tout comme pour « l’histoire », ce débat est désormais clos. Le maître croit que l’avenir pourra fournir des connaissances empiriques presque indiscutables sur les voies moléculaires et neuronales qui relient les gènes au comportement. Les liens entre hérédité et intelligence, objets de polémiques intenses dans le monde scientifique, les tentatives de fonder le comportement criminel sur la biologie, ou encore les relations entre gènes et homosexualité, sont présentés par Fukuyama comme des faits établis, conformément aux affirmations des généticiens du comportement. En grand théoricien (!) qu’il est, Fukuyama ne manque évidemment pas de suggérer qu’il connaît aussi les points de vue critiques. Toutefois, il ne peut s’empêcher d’ajouter : « Le fait que la mauvaise science du passé ait été utilisée à de mauvaises fins ne nous protège pas contre la possibilité qu’une bonne science serve à l’avenir uniquement les fins que nous considérons comme bonnes. » Selon lui, à mesure que seront découvertes des connexions moléculaires concrètes entre des traits tels que l’intelligence, l’agressivité, l’identité sexuelle, la propension au crime ou la dépendance à l’alcool et les gènes, les hommes réaliseront qu’ils peuvent utiliser ces connaissances à des fins sociales.
Dans quelle mesure l’usage répandu des médicaments qui influencent les émotions et les comportements humains peut-il modifier la nature humaine ? L’essor des psychotropes, ainsi que les connaissances sur la chimie du cerveau et la possibilité de la manipuler, peuvent-ils contrôler le comportement d’une manière entraînant d’importantes conséquences politiques ? Fukuyama, à juste titre, affirme que ces médicaments affectent avant tout les sentiments politiques les plus fondamentaux, notamment le sentiment d’estime de soi, et il développe son analyse dans ce cadre.
L’estime de soi est un concept actuellement très en vogue, dont on répète sans cesse aux Américains qu’ils ont besoin de davantage. Ce concept est lié à un aspect critique de la psychologie humaine : le désir de reconnaissance et d’approbation. L’économiste Robert Frank souligne que ce que nous considérons comme des intérêts économiques est en réalité, pour une grande part, l’attente de reconnaissance de statut. Hegel croyait que le processus historique provenait essentiellement de la lutte pour la reconnaissance. Fukuyama pose alors la question : « Si les cerveaux humains avaient contenu un peu plus de sérotonine, aurait-on pu éviter toutes ces luttes de l’histoire de l’humanité ? Comment l’histoire se serait-elle développée alors ? »
Grâce à des psychotropes tels que le Prozac et le Ritalin, il croit qu’il est possible, sans même attendre de grandes réussites de l’ingénierie génétique, de créer dans la société contemporaine une sorte de personnalité moyenne androgyne, politiquement correcte, satisfaite d’elle-même et socialement conforme.
Fukuyama, le Croyant en la Biotechnologie
Celui qui pose les questions enfantines évoquées plus haut sur l’histoire, qui ne s’intéresse que de manière marginale à l’histoire et à la philosophie, et qui connaît les réalités des sciences psychologiques et de la psychiatrie, ose défendre ces opinions d’une manière qu’aucun autre n’aurait le courage de faire : Fukuyama est animé d’une foi totale en la biotechnologie. Selon lui, il n’est nul besoin de longs débats philosophiques ni d’attendre l’avènement du génie génétique humain pour justifier cette foi. Quelques médicaments ayant un effet sur le comportement humain suffisent amplement ! Pourtant, les mécanismes d’action du Prozac et du Ritalin, et notre connaissance de l’étendue de leurs effets sur le comportement humain, notamment sur les individus considérés comme « normaux », ne représentent qu’une goutte dans l’océan comparée à ce que nous ignorons. Des substances et médicaments influençant le comportement humain ont toujours existé dans l’histoire de l’humanité, mais aucun penseur sensé n’a jamais fait preuve du courage ignorant de Fukuyama, à l’exception de certaines intelligences médiatiques comiques qui expliquent des événements comme l’affaire Hasan Sabbah ou certaines initiatives terroristes contemporaines par les « substances » consommées par ces personnes.
Selon Fukuyama, l’un des moyens par lesquels la biotechnologie contemporaine peut influencer la politique est l’allongement de la durée de vie et les changements démographiques et sociaux qui en découleront. Même si seulement la moitié des promesses de la biotechnologie dans le domaine de la gérontologie se réalisait, les populations des pays développés auraient la moitié de leurs citoyens à l’âge de la retraite ou plus âgés, affirme-t-il. Un autre intellectuel américain, Lester Thurow, fonde la structure de son livre The Future of Capitalism sur la réalité de l’allongement de la durée de vie. Mais Fukuyama ne connaît aucune limite dans son audace ignorante lorsqu’il exagère le lien entre l’allongement de la vie humaine et la biotechnologie. Pour lui, la signification de l’allongement de la durée de vie sur le plan des relations internationales réside dans le fait que, deux générations plus tard, la ligne de démarcation entre les pays du Premier et du Tiers Monde sera tracée non seulement selon le revenu et la culture, mais aussi selon l’âge. Il pose alors une question fantastique : « Alors, le monde pourrait-il se diviser en deux : le Nord, gouverné par des femmes âgées politiquement influentes, et le Sud, dirigé par des jeunes hommes en colère surpuissants, comme l’appelle Friedman ? »
Fukuyama définit le génie génétique comme l’étape finale sur le chemin vers l’avenir et le développement de la biotechnologie. Les progrès de la technologie génétique appliqués à l’agriculture ont été appelés la « Révolution verte » et présentés comme une solution à la faim. La prochaine étape de ces avancées sera, sans aucun doute, l’application de cette technologie à l’être humain. La foi de Fukuyama dans la génétique va même plus loin : il affirme que la plus grande récompense que la technologie génétique moderne pourra offrir sera la création de « bébés parfaits conçus sur mesure ».
Pourtant, selon ce grand (!) esprit, avant de pouvoir modifier génétiquement les humains de cette manière, certains obstacles difficiles doivent être surmontés. Le premier réside dans la complexité du problème ; le second concerne la dimension morale des expérimentations sur l’être humain.
La foi de Fukuyama dans la génétique ne montre aucun doute. Ce qui l’obsède le plus, c’est le « changement de la nature humaine », il ramène toujours la discussion à ce point. Il ne peut accepter la possibilité que les prédictions de la génétique ne se réalisent pas. Même si le changement de l’espèce humaine devait se produire avec un certain retard, ou si l’ingénierie génétique affectant l’espèce dans son ensemble ne devenait réalité que dans cinquante ou cent ans, il croit que ce sera le développement le plus important de la biotechnologie à venir. Il se prépare au grand jour (!) où la nature humaine changera. Car avec l’espèce humaine, l’histoire prendra fin et un nouveau cycle commencera. Fukuyama est ainsi le premier et grand théoricien de cette nouvelle ère où les concepts de justice et de morale subiront inévitablement un changement ; c’est la mission qu’il s’attribue secrètement.
Eugénisme Bienveillant
Après avoir ainsi éclairé (!) les possibles chemins vers l’avenir, Fukuyama pose ensuite la question suivante pour dissiper nos dernières inquiétudes : pourquoi devrions-nous nous inquiéter ? (Le mouvement eugéniste imaginaire renaît-il une fois de plus ?) Le terme « eugénisme » a été introduit pour la première fois par Francis Galton, le neveu de Charles Darwin. L’eugénisme consiste à élever délibérément des générations désirées pour améliorer une qualité héréditaire sélectionnée. À la fin du XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle, les programmes eugénistes soutenus par l’État ont reçu un large appui. Selon Matt Ridley, le principal problème des lois eugénistes passées résidait dans leur soutien étatique. Comme Ridley, Fukuyama considère que « l’eugénisme suivi par la volonté libre des individus n’a pas un effet similaire ». Ainsi, on pourrait envisager une évolution vers un eugénisme plus doux, plus bienveillant, qui ne suscite pas l’horreur habituelle.
Cependant, contrairement à Ridley, Fukuyama propose d’utiliser le terme « élevage » — équivalent du terme de Darwin « sélection » — au lieu d’« eugénisme », qu’il juge trop connoté. Le terme « élevage » reflète le potentiel futur de la génétique pour choisir quels gènes transmettre à nos enfants, et ainsi supprimer certaines caractéristiques humaines. Après tout, notre maître, en tant que « théoricien », ne nous prive pas (!) de la délicatesse de ne pas nous exposer à la rudesse et à la brutalité de l’eugénisme libéral.
Fukuyama affirme également que ce que la biotechnologie mettra tôt ou tard en danger, c’est ce qui a toujours été une valeur constante depuis l’existence de l’humanité : le « sens moral humain ». À ce propos, il souligne que Nietzsche est un bon guide. En utilisant Nietzsche comme bouclier, il élimine d’un coup l’obstacle moral devant la biotechnologie. La nature humaine possède de nombreux aspects que nous croyons comprendre et que nous souhaiterions changer si nous le pouvions. Comprendre le bien et le mal dans la nature humaine est extrêmement complexe. Fukuyama insiste pour que nous acceptions sincèrement les conséquences de mettre de côté nos standards naturels de bien et de mal, et que nous reconnaissions, comme l’a fait Nietzsche, que cela peut nous mener dans des territoires où la plupart d’entre nous n’oserions pas poser le pied. Il considère que Nietzsche nous persuade, dans sa grande (!) pensée, de supporter toutes les conséquences morales du changement de la nature humaine, tout en nous invitant à une véritable morale « au-delà du bien et du mal ».
Que devons-nous faire face à la biotechnologie, dont les bénéfices potentiels et les menaces, explicites ou implicites, s’entrelacent ? Fukuyama estime que le débat se déroule entre deux groupes : les libertaires qui veulent tout permettre, et ceux qui veulent interdire les vastes domaines de recherche et d’application (comme Jeremy Rifkin et l’Église catholique, selon lui).
Rifkin, dans son livre Le siècle de la biotechnologie, traduit en notre langue, souligne que nous avons réalisé tardivement le coût des révolutions en physique et en chimie du siècle précédent sur le monde dans lequel nous vivons, et que nous devrions cette fois être mieux préparés ; selon nous, il exprime ainsi les préoccupations intellectuelles communes des savants et développe une perspective très appropriée. Conscient qu’il n’est pas facile de rivaliser avec Rifkin, Fukuyama adopte une mauvaise stratégie politique en le mettant sur le même plan qu’un conservateur catholique plutôt que de le confronter directement.
Bien qu’il appartienne clairement au premier groupe, celui du « laissez-faire », Fukuyama se présente dans ce débat comme un « modéré ». Ce qui fait de lui un modéré, c’est sa défense de l’idée d’« utiliser le pouvoir de l’État » pour résoudre ces problèmes. Si cela dépasse la puissance de tout État-nation, cela devrait être fait au niveau international. Mais où placer la limite ? Une telle question concernant les « limites » ne devrait pas être posée à quelqu’un comme Fukuyama, qui ne connaît aucune limite. Après avoir lu des opinions aussi effrontées, nous n’avons plus aucun désir de demander à Fukuyama quoi que ce soit sur la « limite ». Dans son univers intellectuel, il est si évident que celui qui ignore ne connaît pas sa place, et que celui qui ne connaît pas sa place peut tout dire.
La Première Présentation Populaire de la Pensée Posthumaine
Effectivement, Fukuyama est un penseur de qualité médiocre, dont l’unique talent semble résider dans la caricature du monde scientifique et intellectuel afin de le rendre populaire, tout en formulant des positions politiques fréquemment fluctuantes. Les idées développées dans son ouvrage Notre avenir posthumain sont à ce point dénuées de rigueur scientifique et de cohérence qu’elles ne méritent guère une attention soutenue. L’intérêt que nous portons à son travail réside essentiellement dans ses liens avec les concepts de « posthumain » et de « transhumain ». Son livre constitue l’une des premières analyses sur ces questions et révèle dès ses premières pages une connexion manifeste avec les structures profondes des États-Unis.
Bien que l’ouvrage ait été traduit par « post-humain », cette interprétation est incorrecte ; le terme devrait plutôt être compris comme l’équivalent de « trans-human ». Fukuyama, percevant le transhumanisme comme l’une des idées les plus périlleuses à l’échelle mondiale, a choisi d’intituler son livre avec le concept de « posthuman », que l’on devrait traduire par « trans-humain ». Quant à la notion de « trans-humainanisme », elle représente, comme nos lecteurs le savent, l’un de nos adversaires les plus redoutables, et il nous faudra nous y confronter avec une vigilance accrue