Comprendre l’Amérique de Trump.

Les folies attribuées à Trump, qui sont en réalité une stratégie visant à changer complètement les règles du jeu pour gagner, reflètent le plan d’un certain courant au sein de l’Amérique et, plus largement, de l’Occident pour la période à venir. Cela signifie qu’un combat global de très longue durée nous attend.

 

États-Unis vs Royaume-Uni, Nationalistes vs Mondialistes ou Comprendre l’Amérique de Trump

« Nous, Hongrois, nous nous rebellons depuis 15 ans contre l’empire libéral-mondialiste. Notre lutte continue, mais avec une différence essentielle : sous la présidence de @realDonaldTrump, les États-Unis ont rejoint la rébellion. Désormais, notre objectif n’est plus de renverser, de manœuvrer ou de survivre, mais de gagner ! »

Discours à la nation du Premier ministre hongrois Viktor Orbán.

Avec la réélection de Trump à la présidence des États-Unis, la transformation perçue comme le déclin de l’Occident et du Nord sous la direction des États-Unis, face à l’ascension de la Chine et, plus largement, de l’Asie et du Sud global, est entrée dans une nouvelle phase aiguë. L’élection de Trump lors de son premier mandat, malgré un nombre total de voix inférieur mais avec un plus grand nombre de grands électeurs grâce au slogan « Make America Great Again », était en réalité une conséquence de cette accélération du changement. Cependant, en raison de l’impact de la récession économique causée par la pandémie de Covid et des efforts de diverses forces internes aux États-Unis, en particulier des grandes entreprises technologiques, Trump n’a pas pu être réélu pour un second mandat. Pourtant, les dynamiques qui l’avaient porté au pouvoir n’ayant pas disparu, il est revenu après quatre ans en remportant non seulement la majorité du vote populaire, mais aussi la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants, formant ainsi un cabinet particulièrement intrigant.

De retour au pouvoir, Trump a cette fois-ci adopté une approche radicalement différente de son premier mandat, semblant s’intéresser à tout sauf à la Chine. Dès son investiture, il a fait parler de lui avec une série de projets géopolitiques audacieux, allant de l’achat du Groenland à la prise de contrôle du canal de Panama, en passant par le changement de nom du golfe du Mexique en « golfe d’Amérique », l’expulsion des Palestiniens pour annexer directement Gaza aux États-Unis, ou encore l’intégration du Canada comme nouvel État américain.

Contrairement à une idée répandue, la principale préoccupation de l’Amérique que représente Trump n’est pas la fin possible de l’hégémonie américaine en raison de l’ascension de la Chine. Si l’on met de côté la personnalité et le style particuliers de Trump, il incarne une vision des États-Unis et du monde qui diffère profondément de celle des élites établies en Occident (tant aux États-Unis qu’en Europe). Cette tendance, qui peut sembler nouvelle, représente en réalité une tradition ancienne et profondément enracinée aux États-Unis.

L’Amérique de Trump, comme le montrent ses publications sur X accusant George Soros – célèbre pour ses opérations financières spéculatives menées via le fonds Quantum, basé aux Antilles néerlandaises, et pour ses révolutions colorées à travers son organisation Open Society – de vouloir détruire la civilisation occidentale, considère les mondialistes dirigés par la finance globale comme son principal ennemi. Par conséquent, bien que reconnaissant que la montée de la Chine et du Sud global constitue une menace sérieuse pour l’hégémonie américaine, l’objectif de l’Amérique de Trump est de combattre et de vaincre l’alliance mondialiste menée par la monarchie britannique et les dynasties financières aristocratiques, afin de transformer l’Occident tout en maintenant l’hégémonie des États-Unis.

Pour l’Amérique de Trump, la Chine est une puissance dont la croissance doit être limitée et contrôlée, tandis que le véritable ennemi à abattre est l’ordre mondialiste. À cet égard, les propos du Premier ministre hongrois Viktor Orbán sur X, le 23 février : « Nous, Hongrois, nous nous rebellons depuis 15 ans contre l’empire libéral-mondialiste. Notre lutte continue, mais avec une différence essentielle : sous la présidence de @realDonaldTrump, les États-Unis ont rejoint la rébellion. Désormais, notre objectif n’est plus de renverser, de manœuvrer ou de survivre, mais de gagner ! » Expriment clairement cette position. Ce faisant, il réaffirme la déclaration de Trump lors de son discours à l’ONU pendant son premier mandat, qui avait suscité de vives réactions parmi les conseillers de l’ancien président Barack Obama : « L’avenir n’appartient pas aux mondialistes, mais aux patriotes. »

L’Amérique de Trump, qui s’oppose à l’alliance séculaire entre les dynasties royales menées par la monarchie britannique et la finance mondiale – dont la famille Rothschild est l’exemple le plus connu – souvent qualifiée de « Court Jews » (Juifs de cour), fait de cette structure son principal adversaire. C’est précisément pour cette raison que le célèbre stratège russe Alexandre Douguine a publié des ouvrages intitulés « La Révolution Trump », affirmant ainsi une possible alliance entre la Russie et cette nouvelle vision américaine.

L’Amérique de Trump est un régime politique qui trouve ses racines chez les premiers colons d’Amérique du Nord, ces nationalistes républicains américains qui, à travers leur guerre d’indépendance contre l’Angleterre, ont fait des États-Unis un État souverain. Elle est principalement composée de protestants puritains salafistes profondément religieux[2], ainsi que, de manière surprenante, de certains catholiques très pratiquants comme Vance, Rubio et Kennedy.

L’Amérique de Trump s’oppose à la ligne des Lumières anglo-écossaises incarnée par John Locke, Thomas Hobbes et David Hume. Dans cette divergence, elle rejette l’athéisme et le déisme représentés par Hobbes et Hume, et s’inscrit dans la continuité de la pensée de Locke[3], lui-même un protestant salafiste très croyant. Ainsi, elle se positionne contre la tradition cosmopolite épicurienne et stoïcienne que représente Soros, dont les fondements philosophiques s’inspirent en grande partie du bouddhisme, une religion spirituellement teintée d’orange, et qui privilégie une vision du « citoyen du monde » opposée à celle du citoyen de la polis.

Politiquement, l’Amérique de Trump rejette l’un des deux grands modèles impériaux qui ont façonné la pensée politique occidentale : elle s’oppose à l’approche mondialiste de l’Empire hellénistique d’Alexandre, qui, en conquérant les Achéménides perses, a cherché à unifier l’Orient et l’Occident dans une structure cosmopolite. À l’inverse, elle adopte la vision nationaliste et chrétienne de l’Empire romain, premier empire occidental fondé sur un système de tribut impérialiste et qui, au fil du temps, s’est mué en un empire chrétien.

L’Amérique de Trump et les mouvements politiques européens qualifiés d’« extrême droite » qu’elle soutient représentent, d’un point de vue sociologique, les couches sociales durement affectées par la mondialisation prédatrice menée par la finance internationale depuis les années 1990. Ces populations ont été particulièrement impactées par la crise économique de 2008, qui s’est encore aggravée avec la pandémie de Covid. L’ascension des puissances orientales, notamment la Chine, et du Sud global, qui menacent l’hégémonie occidentale, renforce politiquement cette dynamique en la rendant plus populaire et plus étendue auprès des masses.

Le plan stratégique de l’Amérique que représente Trump repose sur plusieurs axes : pour remporter le conflit en cours et maintenir la suprématie des États-Unis, Trump vise d’abord à restructurer en profondeur l’Amérique et l’Occident. Dans cette optique, fidèle à la tradition des premiers fondateurs des États-Unis, issus du protestantisme salafiste, l’Amérique de Trump aspire à un retour aux principes fondateurs de la nation.

Dans ce cadre, elle ambitionne de rompre l’alliance entre la puissance militaire américaine et la finance internationale qui s’était consolidée après la Seconde Guerre mondiale. Cette alliance, symbolisée par la déclaration de Churchill selon laquelle « nous prêtons notre puissance aux États-Unis », doit, selon Trump, être démantelée. Son objectif est ainsi de réorienter la politique étrangère américaine en abandonnant l’interventionnisme wilsonien (associé à Woodrow Wilson) au profit d’une approche pragmatique et utilitariste, incarnée par Theodore Roosevelt, où l’intervention militaire n’est justifiée que lorsqu’elle sert directement les intérêts américains. En d’autres termes, il cherche à repositionner les États-Unis dans leur état d’avant 1945, voire avant la Première Guerre mondiale.

Pour ce faire, l’Amérique de Trump prévoit de réduire les effectifs et le budget des institutions mises en place après la Seconde Guerre mondiale, telles que le Pentagone et la CIA[4], au profit du renforcement des agences de sécurité intérieure comme le FBI. Une autre initiative clé, inédite, consiste à instaurer un contrôle strict sur la Réserve fédérale (FED), actuellement dominée par des financiers internationaux qui en détiennent les parts et le pouvoir d’émission monétaire.

L’Amérique de Trump, en adhérant aux thèses développées par Samuel Huntington dans Le Choc des civilisations, considère l’immigration étrangère et latino-américaine comme une menace majeure pour l’unité culturelle des États-Unis. Elle cherche ainsi à limiter cette immigration et envisage même d’imposer l’anglais comme langue officielle de l’État fédéral.

Sur le plan intérieur, fidèle à la tradition anti-fédéraliste du Sud, l’administration Trump, à travers les juges qu’elle a nommés à la Cour suprême, renforce l’ordre constitutionnel en redonnant la priorité aux États fédérés sur le gouvernement fédéral. Parmi les mesures envisagées dans ce cadre figurent l’annulation du financement fédéral pour de nombreux programmes, ainsi que la suppression du département de l’Éducation nationale, illustrant clairement cette approche.

Étant donné qu’ils sont des nationalistes républicains en guerre contre l’hégémonie mondiale des familles royales, ils cherchent à prendre le contrôle d’États souverains dirigés par des monarchies, comme le Canada[5], rattaché à la Couronne britannique, ou le Groenland, dont le chef d’État est issu de la famille royale danoise. Leur objectif est ainsi de porter un coup aux structures monarchiques mondialistes tout en faisant des États-Unis une puissance incontournable dans la géopolitique arctique, une région où ils ne disposent actuellement d’aucune connexion territoriale directe. De même, ils cherchent à éloigner les monarchies du Golfe des autres royautés, afin de capter leur puissance financière et de combler les déficits qui résulteraient d’un affrontement avec la finance internationale.

L’Amérique de Trump est bien consciente que son projet de retour à l’avant-1945 entraînera des lacunes dans le système mondial et pourrait nuire aux intérêts américains. C’est pourquoi elle reconnaît la nécessité de forger une chaîne d’alliances et de restructurer l’Occident. Dans le cadre de sa guerre contre la finance internationale et la culture cosmopolite Woke qui la représente, elle considère la Russie de Poutine comme son allié principal contre la fois la Chine et les mondialistes, en raison de son nationalisme, de son attachement à l’État-nation, de son identité chrétienne et de son hostilité envers l’Angleterre.

En s’opposant à l’Union européenne, qu’elle perçoit comme un projet mondialiste, l’Amérique de Trump cherche, avec la Russie, à affaiblir l’UE et les élites globalistes en portant au pouvoir une nouvelle génération de dirigeants européens. Cette génération est issue des écoles politiques chrétiennes internationales mises en place à travers l’Europe par Steve Bannon[6], ancien conseiller de Trump. Elle ambitionne également de faire de l’Allemagne, sous la direction de l’AfD, son principal allié en Europe. L’objectif final est de restructurer le monde occidental autour d’États-nations chrétiens et conservateurs.

D’autres objectifs tactiques de l’Amérique de Trump incluent la domination de la Chine dans des domaines stratégiques comme l’intelligence artificielle, les terres rares et les technologies autonomes, le contrôle des médias sociaux et traditionnels dans sa lutte contre les mondialistes, notamment George Soros, qu’elle accuse de vouloir détruire la civilisation occidentale, ainsi que la réduction de l’influence de la finance new-yorkaise en établissant un marché boursier et un centre financier distincts au Texas. Enfin, dans la poursuite de ses objectifs, elle envisage même, si cela s’avérait possible, une coopération pragmatique avec la Chine et l’Iran.

Ce que beaucoup qualifient de  « folie trumpienne » est en réalité une stratégie politique visant à redéfinir totalement les règles du jeu, dans le but de remporter la bataille que mène une faction spécifique au sein des États-Unis et de l’Occident. Cette approche annonce une longue lutte géopolitique qui façonnera l’avenir du monde.

Notes :

[1] Le meilleur indicateur de la guerre que Trump a déclarée contre la finance internationale est sans doute l’annonce, faite par lui-même et son entourage, de son intention de se rendre à Fort Knox pour vérifier si l’or qui y est entreposé est réellement sur place.

[2] La principale raison pour laquelle ces protestants salafistes ont émigré vers le Nouveau Monde, un territoire américain particulièrement inhospitalier, est qu’ils considéraient les anglicans – dirigés par le roi ou la reine d’Angleterre et proches du catholicisme en ce qui concerne le culte des icônes et des saints – comme des hérétiques. « Les puritains étaient membres d’un mouvement de réforme religieuse, connu sous le nom de puritanisme, qui a émergé au sein de l’Église d’Angleterre à la fin du XVIe siècle. Ils estimaient que l’Église d’Angleterre ressemblait trop à l’Église catholique romaine et défendaient l’élimination de certains rites et pratiques qui ne figuraient pas dans la Bible. Les puritains considéraient que ces réformes étaient nécessaires pour respecter leur alliance directe avec Dieu. (…) Le puritanisme, apparu dans le cadre de la Réforme protestante en Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles, a conduit certains de ses adeptes à fuir les persécutions religieuses et à émigrer en Amérique, où ils ont joué un rôle déterminant dans la structuration politique, sociale et culturelle des premiers États-Unis. »

[3] L’un des aspects dans lesquels l’Amérique de Trump ressemble le plus à John Locke est sans doute son hypocrisie en matière de liberté d’expression. D’un côté, elle critique l’Europe pour son manque de respect envers la liberté d’expression lorsqu’il s’agit de réprimer l’« extrême droite », et de l’autre, elle adopte une approche tout aussi hypocrite aux États-Unis en annulant les visas des étudiants étrangers pro-palestiniens et en coupant le financement des universités favorisant ces opinions. Cette attitude rappelle parfaitement l’ambivalence de Locke, qui défendait la liberté d’expression tout en la réservant exclusivement aux protestants.

[4] Un exemple notable de cette dynamique est l’alliance anti-Trump formée entre les néoconservateurs républicains, dirigés par l’ancien président George Bush et son fils – tous deux d’origine texane et liés à la CIA – et les démocrates de Biden.

[5] Il est essentiel de rappeler que la population d’origine du Canada est constituée des partisans de la Couronne britannique qui, après la guerre d’indépendance américaine, ont fui vers le nord par fidélité au roi. Par ailleurs, la monarchie britannique y détient un pouvoir plus fort que dans d’autres États du Commonwealth, notamment l’Angleterre, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

[6] L’idéologie quasi croisée de ce mouvement transparaît clairement dans certains de ses discours et symboles. Steve Bannon, ancien conseiller de Trump, qui a dû quitter son poste en raison de l’opposition des milliardaires juifs soutenant Trump, a partagé une photo de lui portant un t-shirt arborant l’inscription « Free Constantinople » le 1ᵉʳ janvier, juste avant l’investiture de Trump. Dans le même esprit, Bannon a déclaré que l’Iran n’était pas la principale menace, mais bien Erdogan, tandis que le stratège russe Alexandre Douguine a publié un tweet affirmant que « si les États-Unis étaient véritablemen » un pays chrétien, ils devraient renverser le gouvernement syrien en place ». Ces déclarations témoignent du substrat idéologique qui sous-tend cette vision politique, évoquant presque une nouvelle croisade.